29 mai 2015

Suite Française, d'Irène Némirovsky

Ils s'appellent Péricand, Michaud, Langelet, Corbin, Angellier, Corte, ... Ils sont fonctionnaires, banquiers, écrivains, militaires ou prêtres. Ce sont des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants, des dizaines de figures anonymes de l'Exode de 1940. C'est la déroute, la fuite inexorable d'une nation en pleine débâcle, sous les bombes allemandes. Puis vient alors l'Occupation, répit tant attendu après l'horreur des premiers mois, et qui sous ses dehors presque tranquilles, amène avec elle son lot de tensions et de lâchetés. 
Suite française, grand roman inachevé d'Irène Némriovsky, est avant tout le récit croisé de cette dizaine de personnages tour à tour courageux ou indignes, qui démontre avec une finesse rare les grandeurs et les bassesses de l'âme humaine.   

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A ma grande honte, je ne connaissais pas Suite Française, écrit entre 40 et 42, mais publié pour la première fois en 2004 et couronnée la même année du prix Renaudot. Ce n'est que grâce à la sortie du film et la réédition du roman, que mon attention a été attirée par cette oeuvre : c'est donc tout autant l'un que l'autre qui m'intéresseront dans cet article. Tout d'abord, avoir lu le livre avant d'en voir l'adaptation était sans doute une bonne chose. Car ne nous voilons pas la face : le film est loin de s'inspirer de l'entièreté de l'oeuvre, les récits croisés de ces personnages qui apparaissent puis disparaissent en empêchent, j'imagine, la transposition aisée à l'écran. Le film de Saul Dibb se concentre donc uniquement sur le chapitre "Dolce", dans lequel il est question de l'installation d'un régiment allemand dans le petit village de Bussy, le chapitre "Tempête en juin" n'étant que très brièvement évoqué en guise d'introduction au film. On pourrait penser cela dommage, car les deux volets du roman sont aussi brillants l'un que l'autre, puisqu'ils décrivent pour ainsi dire en temps réel l'Exode de juin 1940, puis les débuts de l'Occupation jusqu'en 1942. Il s'agit donc autant d'un roman que d'un témoignage vivant, et Irène Némirovsky a dépeint merveilleusement les réactions instinctives des uns, leurs réflexes de survie poussés jusqu'à l'excès, leur égoïsme désastreux, mais aussi et surtout le courage et l'abnégation de quelques autres. 


Le film de Saul Dibb n'a pas tout à fait la même vocation que l'oeuvre originale. Il paraissait effectivement nécessaire de se recentrer sur une seul volet, afin de conserver une certaine unité dramatique. C'est donc sur l'histoire de Lucile Angellier, campée par Michelle Williams, que le film se repose. Jeune épouse d'un soldat fait prisonnier et envoyé en Allemagne, Lucile vit chez sa belle-mère, femme hautaine et revêche, qui dirige ses affaires - et celles des autres - avec une main de fer. 

Lucile (Michelle Williams) et Mme Angellier (Kristin Scott-Thomas)

La jeune femme, timide et mal à l'aise dans cette maison où elle n'est pas tout à fait la bienvenue, ne parvient pas à trouver sa place. Lorsque le régiment allemand s'installe dans leur village, c'est leur tranquillité et leur vie bien réglée qui va s'en trouver menacée. Lorsque la kommandantur leur assigne à demeure un officier allemand, Mme Angellier se résout à afficher un mépris distant, enjoignant sa belle-fille à observer un comportement similaire tout le temps que durera cette cohabitation forcée. Seulement, l'Oberleutnant Bruno von Falk est bien éloigné de l'image que s'en était fait Lucile. Homme cultivé, respectueux, celui-ci se fait discret et ne cherche pas à s'imposer. Partageant un goût commun pour la musique, le lieutenant et la jeune femme ne tardent pas à se rapprocher. Evidemment, la réalité de la guerre va très vite chasser leur quiétude, et il suffira d'une étincelle pour mettre le feu aux poudres. Lucile et Bruno devront alors balayer leurs illusions romantiques, et jouer  pleinement les rôles qui n'avaient jamais cessé de leur être dévolus.



Le film "Suite Française" est bien évidemment, et avant même d'être un film sur la Seconde Guerre Mondiale, une magnifique histoire d'amour, lumineuse, et délicieusement dramatique ; un film empli d'émotions, servi par des acteurs à la justesse remarquable, l'étonnant Matthias Schoenaerts en tête, dans ce rôle d'officier sensible et idéaliste, quelque peu détaché des réalités de la guerre. On trouvera également la magnifique et sobre Michelle Williams, dans le rôle d'un personnage timoré, qui ressort de l'histoire merveilleusement grandi, ou encore Ruth Wilson, campant un personnage de femme forte extrêmement poignant. On notera aussi le reste du casting, tout aussi parfait, à savoir Tom Riley, Lambert Wilson ou encore Kristin Scott-Thomas.

Il est certain que l'on peut trouver à l'histoire même, comme au film, un certain air de ressemblance avec la trame du Silence de la Mer de Vercors (écrit en 1942 également), et plus encore avec son adaptation de 2004, réalisée par Pierre Boutron, que j'ai eu pendant longtemps en totale adoration. Werner von Ebrenac et Bruno von Falk sont deux officiers aux idéaux finalement bafoués, et les adaptations des deux personnages ont des similitudes pour le moins troublantes, à cela près que l'un a face à lui un mur d'impénétrable silence dont il ne perçoit jamais aucun écho, et l'autre une âme qui fonctionne en miroir de la sienne, ce qui fait évidemment toute la différence.

Bruno von Falk (Matthias Schoenaerts)
Ajoutons également que le film est servi de manière splendide par des images extraordinaires et une bande originale entêtante, composée par Rael Jones et Alexandre Desplat, qui n'est pas étrangère à la beauté générale de ce film cinq étoiles !

Suite Française sort en DVD le 2 septembre, ne le manquez sous aucun prétexte ! Dites-vous que si vous avez versé une larme pour le Silence de la Mer, vous serez étreints de véritables sanglots sur les dernières images de Suite Française...


Pour écouter un extrait, c'est par ici 

A noter que la majeure partie des scènes se déroulant dans le village fictif de Bussy, a en réalité été tournée à Marville, charmant petit village de Lorraine.

15 mai 2015

Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé (El Desdichado)

Voici l'un des poèmes classiques que j'affectionne le plus, El Desdichado, de Gérald de Nerval. Quoique singulièrement hermétique et surréaliste, on en apprécie la musicalité et la beauté de son verbe. Après en avoir entendu un extrait il y a peu à la radio, j'ai eu très envie d'en écouter à nouveau sa lecture par l'acteur français Alain Cuny, à la diction et au phrasé reconnaissables entre tous. 



Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

05 mai 2015

Suite Française, trailer


Un énorme coup de coeur que ce film bouleversant, réalisé par Saul Dibb d'après le roman d'Irène Némirovsky. A l'affiche, le très juste Matthias Schoenaerts dans un rôle plutôt inattendu, mais aussi Michelle Williams, Lambert Wilson, Kristin Scott Thomas, Sam Riley et Ruth Wilson.

Un conseil, allez le voir tant qu'il est encore en salle : vous n'en ressortirez pas indemne. Pour ma part, je suis sortie du cinéma les larmes aux yeux et le coeur en lambeaux... 

A noter, la magnifique bande originale signée Rael Jones et Alexandre Desplat. 

Très bientôt, un article sur le film et le roman.