Henry Jekyll, honorable médecin londonien, poursuit des recherches sur le dédoublement de personnalité, et s'évertue à mettre au point une drogue qui permettrait de scinder son âme en deux. Lorsqu'un certain Edward Hyde, personnage difforme et inquiétant, apparaît en lieu et place du docteur Jekyll, ses amis les plus proches sont plongés dans l'effroi...
J'ai lu cette courte oeuvre de Stevenson pour la première fois il n'y a pas loin de vingt ans, et avais gardé de ma lecture le sentiment d'un certain malaise. Si le roman n'excède pas les 150 pages, il n'en est, en effet, pas moins très efficace : l'auteur, avec The strange case of Dr Jekyll & Mr Hyde, a créé l'histoire de dédoublement de personnalité la plus emblématique mais aussi la plus passionnante de la littérature. Celle-ci a bien entendu subi au fil du temps, comme tous les grands mythes littéraires, pas mal d'adaptations, et donc de digressions, sur lesquelles je m'attarderai un peu plus loin.
Comme certains d'entre vous le savent certainement, le double personnage de Jekyll/Hyde (Le verbe "hide" signifiant "cacher", en anglais) trouverait son origine dans un cauchemar qu'aurait fait Stevenson. Son épouse, Fanny, raconta plus tard la scène suivante :
Le personnage de Jekyll, finissant par être volontiers éclipsé par celui de Hyde, est donc beaucoup plus contestable et ambigu que ne le suggère la plupart des adaptations, ou tout simplement, que l'image véhiculée par l'inconscient collectif... Cette relecture a donc été pour moi l'occasion de découvrir le personnage sous un nouveau jour, mais aussi de rappeler à mon bon souvenir certaines adaptations que j'avais énormément appréciées en leur temps. Il me serait très difficile d'évoquer toutes les versios, car il en existe, comme pour la plupart des grands mythes littéraires, un nombre incalculable, et qu'elles sont très loin d'être de qualité égale.
Cependant, parmi les plus fameuses, mais aussi les plus récentes, il me serait impossible de ne pas citer Jekyll, de Steven Moffat, et réalisée pour la BBC. Cette mini-série de 2009, avec dans le rôle principal, le très inquiétant James Nesbitt (mieux connu aujourd'hui pour ses rôles dans Le Hobbit, ou la série Lucky man), est une adaptation moderne du roman de Stevenson, un peu à l'image de la série Sherlock, du même Steven Moffat. Cette version présente la vie du Dr Tom Jackman, un brave type, marié et père de deux enfants, aux prises avec une double personnalité sanguinaire, qu'il tâche tant bien que mal de maîtriser et de dissimuler à son entourage. Cette série était particulièrement sanglante, mais extrêmement bien écrite. Il s'agit d'une complète réécriture du Dr Jekyll & Mr Hyde, bien entendu, un peu à l'image de la toute récente adaptation de Dracula, de Moffat et Gatiss, avec un scénario solide, et un second degré tout à fait jubilatoire - le personnage de Hyde étant un psychopathe patenté, mais avec une magnifique dose de dérision. La résolution du "mystère" du dédoublement de la personnalité de Jekyll m'avait énormément emballée, et je ne peux que conseiller cette adaptation, qui vaut aussi le détour pour le tour de force de James Nesbitt dans ce rôle à deux faces ...
Une autre adaptation, si l'on peut dire, est également une réécriture, d'abord sous la forme d'un récit "apocryphe" dirais-je, intitulé "Mary Reilly", de Valérie Martin. J'en suis justement venue à lire le roman de Stevenson pour la première fois, parce que j'avais découvert peu de temps avant le film éponyme qu'en a tiré Stephen Frears en 1996, avec au casting Julia Roberts et John Malkovich.
L'histoire, en quelques mots : Mary Reilly est le nom de la narratrice de ce roman, qui est une humble et jeune employée de maison chez le Dr Jekyll, qui assiste, impuissante, à l'arrivée tonitruante et sanglante d'Edward Hyde dans son quotidien...
A nouveau, il s'agit là d'une relecture assez violente de l'histoire (les détails gores ne sont pas épargnés au lecteur), mais vraiment très intéressante, justement parce qu'elle cherche à combler les vides laissés par Stevenson dans son récit original. Le fait que celle-ci se base sur les observations d'une servante, qui a elle-même connu son lot de violences dans son enfance, permet d'apporter un regard neuf sur l'histoire. Ce personnage a d'ailleurs une très belle consistance, partagé entre son rôle de domestique timide, et dévouée entièrement à Jekyll, et les méfaits sordides de Hyde qu'elle se met en devoir de cacher avec une ambiguïté splendide. A vrai dire, le livre, comme le film d'ailleurs, possède un beau degré de profondeur, et donne à voir une très belle ambivalence, non seulement chez le Jekyll/Hyde de Malkovich, mais aussi chez ce nouveau personnage de Mary, campé avec beaucoup de pudeur et de finesse par Julia Roberts.
Autre adaptation, autre cadre, avec la comédie musicale de Frank Wildhorn, écrite en 1995, que j'ai découverte il y a quelques semaines, et qui m'a suffisamment intriguée pour que j'ai envie de me plonger à nouveau dans le roman. Celle-ci a pris le parti de présenter le bon docteur comme un homme plein de bon sens et d'abnégation. Pour preuve, ses recherches portent plus sur les maladies mentales, dont semble atteint son propre père, plutôt que sur la libération de ses mauvais instincts... Disons que cela enlève tout de même une part non négligeable de l'égoïsme monstrueux du personnage original... Privé de subventions et d'accords de l'académie de médecine pour passer à une phase de test sur un sujet humain, le Jekyll de cette adaptation finit par tester la drogue qu'il a mis au point sur lui-même. (Seul dans son labo. En pleine nuit. La veille de son mariage. Vraiment une idée brillante, pour le coup...) Disons qu'on le comprend plus comme une expérience qui tourne mal, que comme à une volonté réelle de créer un monstre pour éprouver une théorie. Transformé en un Hyde incontrôlable, le personnage va donc se venger sur tous ceux qui ont, de près ou de loin, causé du tort à Jekyll... Cette vision des faits est relativement intéressante, puisqu'elle leur trouve une origine, et donne une certaine cohérence à l'ensemble. La comédie musicale ajoute, à l'image de certaines autres adaptations, une certaine dose d'intrigue amoureuse, puisque d'une part, le Dr Jekyll est fiancé, et que de l'autre, Hyde développe une obsession tout à fait malsaine pour Lucy, une chanteuse de cabaret que son double a rencontré et avec laquelle celui-ci s'était lié d'amitié, à travers laquelle Hyde se met à détester profondément son alter ego... Deux éléments bien évidemment absents de l'intrigue d'origine. A bien des égards, la comédie musicale est tout à fait charmante, et offre une nouvelle perspective sur les motivations de Jekyll, en atténuant l'aspect "meurtres crapuleux" des actes de Hyde. Il va sans dire que c'est probablement la relation toxique entre Hyde et Lucy qui suscite le plus d'intérêt dans cette oeuvre injustement méconnue.
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J'ai lu cette courte oeuvre de Stevenson pour la première fois il n'y a pas loin de vingt ans, et avais gardé de ma lecture le sentiment d'un certain malaise. Si le roman n'excède pas les 150 pages, il n'en est, en effet, pas moins très efficace : l'auteur, avec The strange case of Dr Jekyll & Mr Hyde, a créé l'histoire de dédoublement de personnalité la plus emblématique mais aussi la plus passionnante de la littérature. Celle-ci a bien entendu subi au fil du temps, comme tous les grands mythes littéraires, pas mal d'adaptations, et donc de digressions, sur lesquelles je m'attarderai un peu plus loin.
Comme certains d'entre vous le savent certainement, le double personnage de Jekyll/Hyde (Le verbe "hide" signifiant "cacher", en anglais) trouverait son origine dans un cauchemar qu'aurait fait Stevenson. Son épouse, Fanny, raconta plus tard la scène suivante :
"In the small hours of one morning,[...] I was awakened by cries of horror from Louis. Thinking he had a nightmare, I awakened him. He said angrily: "Why did you wake me? I was dreaming a fine bogey tale." I had awakened him at the first transformation scene."Stevenson se passionnait depuis plusieurs années pour les histoires de doubles identités ou de ce que l'on appellerait plus communément aujourd'hui, de schizophrénie. Il invente donc le personnage de Jekyll, personnage de médecin dans la cinquantaine, respectable et de fort bonne réputation, quoiqu'aux idées quelque peu fantasques. Dans mon souvenir, j'avais conservé du Dr Jekyll cette image seulement, occultant tout à fait les révélations du dernier chapitre. Mon idée s'est sans doute trouvé déformée par les quelques adaptations que j'ai pu voir ensuite, et qui presque sans exception, véhiculent cette idée que Jekyll est un brave type, passionné par la complexité du psychisme, et qui, souhaitant étayer ses théories, ne trouve rien de mieux à faire que de les tester sur lui-même. Mal lui en a pris, puisque au fil du temps, Jekyll, qui croit maîtriser l'apparition de son double, Edward Hyde, se retrouve pourtant très vite à être dans la totale incapacité à la contenir. A dire vrai, dans les premiers chapitres du roman, on penche clairement pour cette image de savant fou, dont les expériences deviennent rapidement incontrôlables. Et cependant, à la relecture, j'ai été très étonnée du ton de la confession d'Henry Jekyll. J'ai vu apparaître dans plusieurs critiques - et je le pensais d'ailleurs moi-même avant d'entamer cette seconde lecture de l'oeuvre - que le Dr Jekyll était un personnage charitable et altruiste. Voire même qu'il oeuvrait presque à soigner les malades mentaux, en tout cas c'est ce que certaines adaptations ont choisi de montrer. Mais que nenni...! Jekyll n'oeuvre qu'à se sauver lui-même, mais pas dans le sens où on pourrait l'entendre. Il a, au contraire, parfaitement conscience qu'il doit vivre depuis toujours avec une nature double, une bonne, qu'il montre faussement le jour (l'auteur parle d'une "philanthropie ostentatoire", soulignant l'hypocrisie de son comportement), et une autre, qu'il cache à tous et qui lui fait honte. De cette autre nature et de ces vices présumés, nous n'avons guère de détails, et l'auteur ne semble pas vouloir en faire mention, sinon par les actes crapuleux de Hyde. Clairement, Jekyll souligne qu'il effectue des recherches afin de séparer ses deux personnalités, pour en quelque sorte "lâcher la bride" à sa mauvaise part...
"[...] Rapidement, avant que mes travaux m'eussent suggéré la possibilité d'un tel prodige, je m'habituais à l'idée, tout d'abord vague comme un songe, de dissocier mes deux individualités. Si chacune d'elles me disais-je, pouvait loger dans une gaine distincte, la vie deviendrait à la fois plus intense et plus simple. Le méchant serait débarrassé de ce qui le paralyse, remords, crainte, tandis que le bon, délivré de l'appel de ses instincts, se consacrant exclusivement à l'accomplissement de nobles buts, réussirait là où il échoue d'habitude."
"[...] Dès la première seconde de ma métamorphose, je compris que mon nouveau personnage était foncièrement mauvais. Tout le mal accumulé dans mon passé affluait... Or cette idée, loin de me contrarier, m'exaltait comme un vin généreux."Soyons honnêtes, il n'y a pas grand chose de philanthropique là-dedans. Le fait est que Jekyll vit avec l'individualité de Hyde depuis toujours, mais qu'il ne supporte pas de savoir qu'elle existe. Si le docteur avait été un personnage profondément bon, l'idée de lâcher un monstre dans la nature n'aurait probablement pas dû l'effleurer... Autre point très étonnant, Jekyll dans un premier temps, s'inquiète peu des actes perpétrés sous la personnalité de Hyde. Il en tire même une obscure satisfaction.
"Jadis, les puissants de ce monde se servaient de spadassins pour tuer sans perdre leur honorabilité. Je pus me donner à moi-même le plaisir de tuer sans perdre l'honneur. [...] Sous cette sorte de déguisement, je savourai des plaisirs qui eussent discréditer un gentleman."Je dois dire que c'est sans doute cet extrait en particulier qui m'a fait réviser mon jugement au sujet de la personnalité de Jekyll, qui se sert donc ouvertement de Hyde pour satisfaire la part peu recommandable de sa nature, ou régler ses comptes avec la société. Magré tout, Jekyll s'en défend, appelle à la clémence, en se justifiant de manière très contestable. Il s'évertue donc à rejeter uniquement la faute sur cette version sombre de lui-même, comme si les remords ne l'effleuraient qu'à peine, oubliant presque qu'il est le seul responsable de la "libération" du monstre. Les enfants et les vieillards tabassés, les meurtres de sang-froid, ne le touchent d'abord que parce qu'ils pourraient entacher sa réputation. L'horreur des faits lui apparaît malgré tout assez tardivement, et surtout parce qu'il finit par ne plus rien maîtriser, comme si Hyde, ce personnage boiteux et inquiétant, commençait à mener une vie indépendante, cherchant à menacer la sienne...
Le personnage de Jekyll, finissant par être volontiers éclipsé par celui de Hyde, est donc beaucoup plus contestable et ambigu que ne le suggère la plupart des adaptations, ou tout simplement, que l'image véhiculée par l'inconscient collectif... Cette relecture a donc été pour moi l'occasion de découvrir le personnage sous un nouveau jour, mais aussi de rappeler à mon bon souvenir certaines adaptations que j'avais énormément appréciées en leur temps. Il me serait très difficile d'évoquer toutes les versios, car il en existe, comme pour la plupart des grands mythes littéraires, un nombre incalculable, et qu'elles sont très loin d'être de qualité égale.
Cependant, parmi les plus fameuses, mais aussi les plus récentes, il me serait impossible de ne pas citer Jekyll, de Steven Moffat, et réalisée pour la BBC. Cette mini-série de 2009, avec dans le rôle principal, le très inquiétant James Nesbitt (mieux connu aujourd'hui pour ses rôles dans Le Hobbit, ou la série Lucky man), est une adaptation moderne du roman de Stevenson, un peu à l'image de la série Sherlock, du même Steven Moffat. Cette version présente la vie du Dr Tom Jackman, un brave type, marié et père de deux enfants, aux prises avec une double personnalité sanguinaire, qu'il tâche tant bien que mal de maîtriser et de dissimuler à son entourage. Cette série était particulièrement sanglante, mais extrêmement bien écrite. Il s'agit d'une complète réécriture du Dr Jekyll & Mr Hyde, bien entendu, un peu à l'image de la toute récente adaptation de Dracula, de Moffat et Gatiss, avec un scénario solide, et un second degré tout à fait jubilatoire - le personnage de Hyde étant un psychopathe patenté, mais avec une magnifique dose de dérision. La résolution du "mystère" du dédoublement de la personnalité de Jekyll m'avait énormément emballée, et je ne peux que conseiller cette adaptation, qui vaut aussi le détour pour le tour de force de James Nesbitt dans ce rôle à deux faces ...
Jekyll, série de Steven Moffat (2009) |
Une autre adaptation, si l'on peut dire, est également une réécriture, d'abord sous la forme d'un récit "apocryphe" dirais-je, intitulé "Mary Reilly", de Valérie Martin. J'en suis justement venue à lire le roman de Stevenson pour la première fois, parce que j'avais découvert peu de temps avant le film éponyme qu'en a tiré Stephen Frears en 1996, avec au casting Julia Roberts et John Malkovich.
L'histoire, en quelques mots : Mary Reilly est le nom de la narratrice de ce roman, qui est une humble et jeune employée de maison chez le Dr Jekyll, qui assiste, impuissante, à l'arrivée tonitruante et sanglante d'Edward Hyde dans son quotidien...
A nouveau, il s'agit là d'une relecture assez violente de l'histoire (les détails gores ne sont pas épargnés au lecteur), mais vraiment très intéressante, justement parce qu'elle cherche à combler les vides laissés par Stevenson dans son récit original. Le fait que celle-ci se base sur les observations d'une servante, qui a elle-même connu son lot de violences dans son enfance, permet d'apporter un regard neuf sur l'histoire. Ce personnage a d'ailleurs une très belle consistance, partagé entre son rôle de domestique timide, et dévouée entièrement à Jekyll, et les méfaits sordides de Hyde qu'elle se met en devoir de cacher avec une ambiguïté splendide. A vrai dire, le livre, comme le film d'ailleurs, possède un beau degré de profondeur, et donne à voir une très belle ambivalence, non seulement chez le Jekyll/Hyde de Malkovich, mais aussi chez ce nouveau personnage de Mary, campé avec beaucoup de pudeur et de finesse par Julia Roberts.
Julia Roberts (Mary Reilly) et John Malkovich (Edward Hyde) |
Lucy et Hyde (ici dans la version de la King's Academy, à regarder sur youtube) |
J'ai également eu l'occasion de visionner il y a peu l'unique saison de la série britannique Jekyll & Hyde, datant de 2015 et diffusée sur ITV. Cette série, transposée dans le Londres des années 30 et suivant le petit-fils du Dr Jekyll original, est malheureusement plus un réchauffé de "La Ligue des gentlemen extraordinaires" qu'une nouvelle exploration du mythe littéraire. Un bon divertissement, qui vaut le détour sans doute pour les quelques répliques cinglantes et cabotines de Tom Bateman dans son rôle de Hyde, mais sans plus malheureusement, tant il s'éloigne des fondamentaux.
Tom Bateman dans le double rôle de Hyde et de Jekyll (série ITV 2015) |
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Un mythe littéraire, qui à l'image de Sherlock Holmes, Dracula et d'autres, a subi beaucoup d'adaptations et de digressions, mais qui demeure toujours aussi nimbé de mystères qu'à l'époque de sa création...
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