23 août 2018

Hamlet, de Laurence Olivier (1948)


Hamlet, de Laurence Olivier (1948)


Adapté par Laurence Olivier, d'après la pièce éponyme de William Shakespeare.

Avec Laurence Olivier (Hamlet), Jean Simmons (Ophelia), Basil Sydney (Claudius), Eillen Herlie (Gertrude), Norman Wooland (Horatio), Felix Aylmer (Polonius), Peter Cushing (Osric),...


Oscar du meilleur film 1948
Oscar du meilleur acteur 1948
Oscar de la meilleure direction artistique 1948
Oscar de la meilleure création de costumes 1948
Lion d'or de la Mostra de Venise 1948
Golden Globe du meilleur acteur
BAFTA du meilleur film 1949

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A la cour de Danemark, on fête le mariage du roi Claudius et de la reine Gertrude, le frère et l'épouse du précédent monarque, mort deux mois plus tôt. L'héritier du trône, son fils unique Hamlet, voit d'un mauvais oeil ce mariage précipité et souffre en silence de la mort de son père. Une nuit, le spectre du défunt roi lui apparaît sur les remparts du château d'Elseneur et lui apprend qu'il a été assassiné par Claudius,  exhortant son fils à la vengeance. Mais Hamlet, aux prises avec les remords de sa mère, son amour pour Ophélie, la fille du grand chambellan, ainsi que ses propres scrupules, tarde à agir...

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Hamlet, scénarisé, dirigé, et en partie produit par Laurence Olivier, est le deuxième film de sa fameuse "trilogie shakespearienne", réalisé après Henry V (1944, et ayant également reçu un Oscar d'honneur en 1947), et avant Richard III (1955, récompensé par deux BAFTA). J'ai découvert ce film, ma toute première adaptation shakespearienne à dire vrai, lorsque j'avais 15 ans, de manière tout à fait fortuite. Je me trouvais alors à l'époque dans une période sévère d'addiction aux films rétro, et j'avalais à peu près toutes les oeuvres de cette catégorie qui pouvaient me passer sous les yeux, et Le cinéma de minuit aidant, j'ai fini forcément par tomber sur Sir Laurence Olivier (1907-1989), éminent acteur britannique pourtant assez peu connu dans le monde francophone. Or, ce dernier est une véritable icône Outre-Manche, une espèce de dieu du théâtre et plus particulièrement du répertoire shakespearien. Il fut un adepte de la scène, mais aussi du cinéma (pour Hitchcock, Wyler, Manckievicz, Preminger, Kubrick,...), mais aussi le scénariste et le réalisateur des trois adaptations shakespeariennnes les plus emblématiques du 7ème art, et ce bien avant Kenneth Brannagh.


La trilogie shakespearienne de Laurence Olivier : Henry V, Hamlet, Richard III



Mon premier visionnage de Hamlet par Laurence Olivier, remonte à un peu plus de vingt ans, et fut en réalité un véritable coup de poing. J'ai été en quelque sorte "happée" immédiatement par Shakespeare, par la pesanteur et la symbolique de cette tragédie, sans doute l'une des plus connues du monde. Cette adaptation a quelque chose de tout à fait glaçant et d'unique par rapport à ce qui a été réalisé ensuite. A une époque où la couleur avait pourtant déjà pointé le bout de son nez sur les pellicules, ce Hamlet a été volontairement tourné en noir et blanc, avec des plans d'un esthétisme léché qui s'inspire largement du cinéma expressionniste allemand. Les contrastes saisissants de lumière, la présence presque asphyxiante de ces ténèbres qui cernent les scènes les plus évocatrices de la pièce, donnent une teinte très onirique à l'ensemble, que n'aurait sans doute pas renié certains réalisateurs de films d'horreur des années trente... 


"Where wilt thou lead me? Speak, I’ll go no further."



En d'autres termes, le film de Laurence Olivier est une oeuvre inspirée, et ce à plus d'un titre... L'atmosphère lugubre de l'image est d'ailleurs délicieusement mise en valeur par une bande originale d'une splendeur grandiloquente, conçue par le génial compositeur britannique William Walton, que l'on peut écouter presque dans son intégralité par ici.

Ensuite, il s'agit là de la première adaptation parlante de la pièce, et qui parvient à tenir en deux heures trente, dans un format dit "acceptable" pour une diffusion au cinéma, et surtout qui parvient à éviter les inévitables longueur de l'oeuvre originale qui doit atteindre une durée de 3h30 à 4h au total lorsqu'elle est jouée sur scène... Alors certes, certains ont crié ou crient encore au scandale en constatant les visibles raccourcis empruntés, les personnages passés allègrement à la trappe pour offrir cette oeuvre finalement très accessible. Car ne nous voilons pas la face, Hamlet, au-delà du génie de ses thèmes et de la magnificence de sa langue, comporte son lot de scènes et de personnages ennuyeux, presque facultatifs, et qui auraient presque tendance à éloigner le spectateur de sa thématique principale. Peut-être suis-je partiale sur le sujet, mais après avoir lu l'oeuvre originale un certain nombre de fois, force m'est de constater que les extraits remaniés et les personnages supprimés chez Laurence Olivier sont justement ceux qui vous insupportent à la lecture (Rosencrantz, Guildestern, Fortinbras), et qui ont tendance à faire perdre au personnage central un peu de sa ténébreuse aura. Personnellement, ce remaniement n'est donc pas pour me déplaire, mais je conçois aisément que cela puisse gêner les puristes. Le propos est donc  plus dense, mais le message véhiculé par la pièce originale s'en retrouve plus pertinent et plus puissant aussi.




Au-delà de ces aspects de forme, venons-en au fond. Si Laurence Olivier a réalisé, adapté et produit le film, il en interprète également le personnage principal. Peut-on réellement mettre en doute le fait véhiculé depuis lors qu'il s'agit là de l'une des meilleures interprétations du personnages et aussi l'une des plus abouties ? Vélléitaire, rongé par un écrasant complexe d'Oedipe, cet Hamlet d'une noire mélancolie, attire vers les abîmes où il se trouve tous ceux qu'il approche. Il est de ces personnages que l'on ignore comment classifier, du côté de l'ombre ou de la lumière, et qui oscille perpétuellement dans un entre-deux où il peut ressasser sa légendaire inaction. Hamlet n'est pas un héros, ne l'a jamais été. L'adaptation ne contredira jamais cet état de fait. Elle joue justement dans un registre volontairement incertain, expliquant tantôt ses actes ou ses absences d'actes par sa nature angoissée et insatisfaite, reflet d'une âme capricieuse et vindicative complètement étouffée par l'infantilisation dans laquelle sa mère le revoie dès qu'il fait montre d'une certaine indépendance d'esprit. La pauvre Ophélie (délicieusement interprétée par une toute jeune Jean Simmons, qui avait à peine 18 ans au moment de ce tournage très exigeant), paiera elle aussi le tribut de son inconstance et de sa faiblesse. 


Jean Simmons dans le rôle d'Ophélie

Hamlet en s'évertuant d'éviter un affrontement direct avec son oncle meurtrier, sème un lot impressionnant de victimes collatérales en plus de cette dernière... Il est tellement plus aisé pour ce personnage indécis de rejeter son amertume et sa colère sur son plus proche entourage plutôt que sur le responsable direct de son malheur... On comprend aisément que bon nombre de psychanalystes se soient penchés sur la "tragédie des tragédies" comme l'avait nommée le psychologue russe Lev Vygotsky, auteur d'un magnifique et éclairant essai de 1915 sur le sujet... Le personnage se prête volontiers à l'analyse d'un certain nombre de névroses, n'est-il pas ?

J'invite donc les plus réfractaires à l'oeuvre de Shakespeare à se pencher sur cette adaptation, qui a su merveilleusement retranscrire la force d'un texte magnétique, dans une atmosphère nimbée d'un esthétisme noir.

Pour terminer, quelques extraits pour donner une idée de l'ambiance et du contexte de cette adaptation emblématique...



Oh, that is too, too solid flesh would melt

To be or not to be, that is the question

Statue commémorant le centenaire de la naissance de Laurence Olivier
dans le rôle le plus emblématique de sa carrière, située sur la rive sud de la Tamise,
à proximité du National Theatre, dont le comédien a été le directeur dans les années 70.
Il est à noter également qu'il est un des rares acteurs à avoir été fait baron,
et honoré à sa mort d'un enterrement en grande pompe
à Westminster en 1989... durant lequel a été joué la bande originale... d'Hamlet. 

4 commentaires:

  1. Je n'ai jamais eu l'occasion de croiser Hamlet en adaptation (même si je pense avoir lu une fois la pièce, texte nébuleux, quand même...). Tu dis tant de bien de cette version, si elle croise ma route, je la testerai ! C'est effectivement étrange de voir que dans la trilogie shakespearienne de Laurence Olivier, c'est la seule qu'il ait fait en noir et blanc. Les extraits que tu as choisis montrent bien le côté indécis, lent, tourmenté du personnage. (Je vois que le côté monologue intérieur doit bien servir, pour certains passages du texte !) J'ignorais qu'Hamlet avait été autant analysé, pour tout dire, mais au vu de ce que tu en dis, ça ne m'étonne pas. Il semble tellement acteur passif de sa propre tragédie, qu'au final il entraîne effectivement dans son sillage toutes les victimes qu'il aurait voulu épargner. Les absences d'actes sont toutes aussi fatales que les actes en eux-mêmes, et ça arrive rarement chez les héros littéraires d'ailleurs. Mais ce qui en résulte n'est pas moins intéressant !
    Merci pour cette belle présentation...je suis bien contente de te relire ! :)

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  2. J'étais un gros lecteur de Shakespeare au lycée, mais curieusement, je ne m'étais jamais vraiment tourné vers les adaptations. Merci pour ton article et ton conseil ! De mon côté, ça y est, j'ai vu Ben Lewis, en Phantom sur scène ! Un petit rêve de réalisé.

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  3. Bonjour Lorinda !
    Désolée pour ce long délai de réponse ! C'est vrai, Hamlet a été beaucoup analysé depuis son écriture, et évidemment énormément depuis le XIXe avec l'émergence de la psychanalyse et des concepts freudiens. Le personnage d'Hamlet se prête volontiers à ce genre de "décorticage", comme beaucoup de personnages shakespeariens en général. Othello et Macbeth ne sont pas mal non plus dans leur genre :) Cela dit, je préfère encore de loin le personnage de Prospero dans la Tempête, qui est particulièrement en demi-teinte (en perpétuelle interrogation sur le bien et le mal, et la frontière ténue qui existe entre les deux pôles, avec un côté illuminé et omniscient qui n'est pas pour me déplaire). Il faudrait que je relise la pièce pour mieux présenter le personnage, mais il m'avais énormément marqué à la lecture ! Sinon, oui, le texte d'Hamlet est assez nébuleux par moments, et je pense que c'est ce qui fait la richesse de l'analyse... Il y a des dérivations philosophiques tout au long de l'oeuvre qui ont même parfois l'air de sortir complètement du contexte de la pièce... J'espère pouvoir bientôt rédiger de nouveaux articles, mais la période est un peu compliquée dans tous les sens du terme... Mais j'ai des projets d'articles qui trottent dans un coin de ma tête !

    A bientôt !

    @Au fait, devine qui je vais voir en concert demain ??? Simon Keenlyside !!! Je te raconterai :)

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  4. Bonjour Flo !

    J'espère que tu vas bien ! Oui, je te conseille vivement cette adaptation d'Hamlet, elle est extrêmement éclairante, je trouve, surtout si c'est une première approche de la pièce. Le travail de Laurence Olivier au niveau de l'adaptation est vraiment admirable.

    Super pour Ben Lewis ! Je t'envie ! :)

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