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05 septembre 2014

The Red Shoes, de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)

Les Chaussons Rouges, de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948 - Films Arthur Rank - GB - durée : env. 2h10), avec Moira Shearer, Marius Goring, Anton Walbrook.

Victoria Page est une jeune ballerine, rêvant de danse et de gloire. Après la première du ballet "Heart of fire", on lui présente l'éminent directeur de ballet Boris Lermontov, qui l'engage. Personnage intransigeant, rigide et hautain, Lermontov a décelé en elle un potentiel extraordinaire, et est bien décidé à en faire la nouvelle vedette de sa compagnie dans un projet d'envergure : créer un ballet inédit, "Les Chaussons Rouges", qu'un jeune compositeur, Julian Craster, nouvellement engagé, vient de lui écrire. Pour eux, ce sera la gloire assurée, à condition de s'y consacrer corps et âme. Lorsqu'il apprend que la jeune danseuse et le compositeur sont tombés amoureux l'un de l'autre, Lermontov en conçoit une rage  terrible...

***

Malgré que ce film ait été porté aux nues par les plus grands (Martin Scorsese, Brian de Palma, ou encore Coppola - excusez du peu), je ne le connaissais absolument pas, et il est proprement malheureux d'être passée à côté pendant tout ce temps... Les Chaussons Rouges, titre du ballet que joue la jeune Vickie Page, issu lui-même du conte d'Andersen, est à n'en pas douter, un de ces films qui, une fois visionnés, ne s'oublient jamais. A la fin du visionnage, on reste comme quelques minutes en "flottement", rêveur, incapables de se détacher de cette histoire troublante, bouleversante, qui oscille entre oeuvre onirique, drame musical et conte fantastique. Ce film, écrit par Emeric Pressburger et sorti en 1948, est une sorte d'heureux télescopage d'images et d'idées entre La belle et la bête de Cocteau, Les visiteurs du Soir de Marcel Carné, Le Fantôme de l'Opéra et Pygmalion... L'histoire en elle-même est bien peu fantastique au départ, puisqu'elle se concentre sur les aspirations d'une jeune femme qui souhaite devenir une grande danseuse, et sur le parcours plutôt amer de ses débuts dans la troupe de l'énigmatique et glacial Boris Lermontov, le directeur de ballet qui l'a engagée. Peu à peu, au fil des répétitions du ballet inédit, le rythme du film change, tout comme les images, la musique : le scénario alors très académique se transforme en une plongée dans le conte original d'Andersen et la fameuse malédiction des chaussons rouges, qui contraignent leur propriétaire, à danser éternellement, sans jamais s'arrêter, jusqu'à l'épuisement. On ne sait dorénavant plus si l'héroïne incarne simplement un rôle, ou si le rôle a trouvé en elle une incarnation ultime, puisqu'il résonne à présent dans son existence comme une réalité funeste (et là, on pense que Black Swan n'a vraiment rien inventé...). La vie de la jeune femme devient alors une allégorie pure et simple du conte, très habilement transformé dans un triangle amoureux inévitable, mais ô combien prévisible, qui n'est pas forcément celui que l'on croit, et qui se lit à divers degrés. Il est très rare pour un film de cette époque de voir une telle finesse et une telle modernité dans le traitement des personnages, y compris dans la manière de les présenter aux spectateurs.

Victoria "Vickie" Page (Moira Shearer)
Car la richesse de ce film, s'il se trouve dans le scénario et sur la modernité du propos et des plans,  repose tout autant sur le trio de tête des personnages, de Julian Craster, à Vickie Page, en passant par Boris Lermontov, tous trois incarnés, cela dit en passant, par de quasi inconnus.

***

Jeune femme toute entière dévouée à son art, Vickie Page, enrôlée à force pugnacité dans la grande compagnie dirigée par Lermontov, est une incarnation subtile mais entière, du sacrifice. Ce dévouement total qu'elle s'impose avec un optimisme juvénile, ne serait pas si terrible si elle ne l'avait promis à Lermontov, personnage magnétique, inquiétant de froideur et de grâce arrogante, qui l'a prise sous sa coupe. Le bienveillant ascendant des premiers temps prend vite des allures d'emprise délétère. La jeune femme devient alors un objet de manipulation et de chantage affectif. Lorsque celle-ci est confrontée à faire un choix de vie, un choix tellement humain - entre l'amour de l'art et l'amour tout court - son mentor la rejette avec une rage mal contenue, qu'on ne perçoit qu'à travers un mépris insultant.


Boris Lermontov (Anton Walbrook)
Que sait-on d'ailleurs de Boris Lermontov, personnage favori de toute la carrière du scénariste Emerich Pressburger ? Être rigide, hautain, égoïste à un degré suprême, animé d'un désir compulsif de perfection, que recherche-t-il vraiment ? Directeur et impressario tout-puissant d'une compagnie de renommée internationale, il sait ce qu'il veut et où il va, sans jamais aucune remise en question. Abandonnant et méprisant ceux qui ne peuvent le suivre, il fait et défait les carrières et les vies, si elles ne répondent plus à son sens du sacrifice et de la dépendance. On ne sait non plus ce qui le lie réellement à Vickie, hormis les espoirs qu'il a mis en elle follement, presque désespérément, comme si elle était l'incarnation ultime, inconditionnelle de son absolu. Inspiré à plus d'un titre par le véritable Sergeï Diaghilev, créateur et directeur des Ballets Russes, on retrouve chez Lermontov, cette personnalité écrasante, intolérante, quoique fascinante, celle qui subjugue son entourage, en même temps qu'elle ne l'entraîne encore et toujours vers le fond. Encore faut-il que ceux qu'il a sous sa coupe répondent à des aspirations équivalentes aux siennes... Si Vickie devient en quelque sorte son jouet favori - contrairement aux autres membres de la compagnie, qu'il estime avec une bienveillante politesse - c'est qu'il pense avoir face à lui une âme non pas semblable à la sienne, mais une âme jeune et influençable sur laquelle il peut peser lourdement, non par la terreur, mais par la fascination. Il peut ainsi projeter sur elle ses souhaits d'inconditionnelle perfection.

Lermontov : un autre personnage frollien ?


Du dévouement à l'emprise
Les scènes de ballet sont ensuite très révélatrices (pas moins de quinze minutes de danse sans coupure, absolument magiques), entre onirisme et symbolisme, on suit le cheminement de la jeune femme sur la voie de cette fascination à double tranchant : lors de la première représentation, elle voit sur les traits du danseur qui incarne le chausseur diabolique, ceux de Lermontov... Scène au symbolisme lourd, puisqu'elle révèle qu'il n'y aura finalement plus d'autre issue que celle, funeste, que véhicule le conte d'Andersen.

Lorsque Vickie lui échappe, en quittant la troupe pour se marier avec le compositeur Julian Craster, musicien doué, compositeur des Chaussons, qui officiait au sein de la compagnie, Lermontov ressasse une colère noire. Jalousie maladive révélatrice d'une tempérament obsessionnel ? Sans doute, quoiqu'on ignore tout à fait si le sentiment amoureux à quelque chose à y voir... Lermontov se dit en effet jaloux, mais pas de ce que l'on pense, et probablement pas du mari de Vickie, homme inoffensif, tendre, attentionné, forcément assez transparent, mais tellement égoïste lui aussi... On ne quitte pas si facilement le vieux carcan qui a eu cours pendant des siècles, et qui veut qu'une femme mariée sacrifie tout à son époux, tout y compris elle-même, jusqu'à s'oublier, jusqu'à s'effacer... La jeune femme ne déroge pas à la règle, et ne danse presque plus, et est, on n'en doute guère, très malheureuse d'avoir abandonné sa carrière. Lorsqu'elle a l'opportunité de la reprendre, ou plutôt, lorsque Lermontov lui propose de revenir dans la compagnie pour danser Les Chaussons Rouges, elle est à nouveau confrontée à un choix impossible : d'un côté le mari jaloux, exigeant à son tour un sacrifice total (si on n'avait pas réellement détester ce personnage jusque là, à présent, c'est chose faite!), et de l'autre le mentor, le pygmalion sans scrupules qui réclame l'aboutissement d'un idéal hors de portée...

***

On ne peut regarder la fin des Chaussons Rouges qu'étourdi, et n'en ressortir qu'avec la conviction d'avoir vu un véritable chef-d'oeuvre... Il s'adresse autant aux amateurs de danse qu'aux autres, tout comme aux adorateurs de personnages complexes... A voir et à revoir sans aucune modération !



 Pour terminer cet article, la scène de rencontre entre les deux principaux protagonistes, Vickie Page et Boris Lermontov :



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Et je ne résiste pas à poster quelques délicieuses photos de promo du film...

 

 



09 septembre 2012

"I loved you madly" - The Mystery of Edwin Drood - scène du jardin

Uniquement pour le plaisir des yeux, une fois n'est pas coutume, j'ai trouvé sympathique de placer quelques photos des 4 adaptations connues, du roman inachevé de Dickens, de cette unique et splendide scène que j'intitulerai simplement "scène du jardin", où John Jasper s'ose à une demande en mariage assez désastreuse... Et désolée d'avance pour la qualité de certaines images, qui sont pour la plupart des captures de vidéos de piètre qualité, puisque ces versions n'ont pas été remasterisées, et ne le seront sans doute jamais...


Adaptation américaine de 1935, édulcorée et très comme il faut - avec l'incontournable Claude Rains et Heather Angel, dans une scène malheureusement expédiée...



Adaptation fleuve russe de 1980 (6 heures en tout !) avec Valentin Graft et Yelena Koreneva, dans cette scène de demande en mariage, qui dure près de 11 minutes !
Malgré que je n'aie pas encore trouvé le temps et le courage de la visionner en intégralité (et en version originale non sous-titrée s'il vous plaît !), elle est probablement très fidèle au livre, mais la surdramatisation des acteurs  est tellement visible que c'en est presque risible, sans parler des effets de caméra très hasardeux, qui sont tout à fait passés de mode. (On notera sur la photo de droite, le splendide palais russe tout droit sorti du temps des tsars, qui fait office de demeure victorienne... ^_^)


Adaptation de 1993 avec Robert Powell et Finty Williams (qui est à la ville la fille de Dame Judi Dench, ça c'était pour le rayon potins...) 
De cette adaptation anglaise, il ne subsiste que quelques extraits sur youtube. L'ambiance plutôt lugubre, et l'excellence du jeu de Robert Powell augurent une adaptation qui paraît jouer davantage sur l'atmosphère que sur la fidélité à l'oeuvre. Il est hélas très difficile d'en dire davantage, le téléfilm étant introuvable pour l'instant... 


Adaptation de 2012 - Matthew Rhys et Tamzin Merchant
Ah ! Comment ne pas en parler ? N'est-elle pas en tout point, et cette scène justement, parfaite ? Elle n'est certes pas longue, mais elle est si juste, si bien mise en place, si magnifiquement filmée, et servie par un jeu d'acteur excellent, que l'on ne peut que saluer, admirer... (Et comment égaler le sourire carnassier de Matthew Rhys qui clôture cette scène : I will pursue you to the death !) 


"I loved you madly; in the distasteful work of the day, in the wakeful misery of the night, girded by sordid realities, or wandering through Paradises and Hells of visions into which I rushed, carrying your image in my arms, I loved you madly."

04 septembre 2012

Le cas John Jasper ou la crainte de l'introspection... (The Mystery of Edwin Drood - Charles Dickens)


Le Mystère d'Edwin Drood est probablement l'un des romans les plus énigmatiques de la littérature victorienne... La disparition de l'auteur en 1870, laissant l'oeuvre inachevée, n'est évidemment pas étrangère au statut emblématique qu'elle a su conserver au fil des décennies ; statut tout aussi alimenté par les nombreux essais, analyses, romans, sequels, qui constituent la littérature droodienne depuis 150 ans.

"L'industrie de la résolution du mystère" (Paul Schlike) si elle fut prolifique au cours du XIXe et XXe siècles - et l'on notera le fabuleux procès de John Jasper qui s'est tenu à Londres en 1914, qui après un délibéré de près de 5 heures, prononcera finalement le non-lieu ! - ne semble pas prête de s'étioler. Pour preuve, le très récent Drood, de Dan Simmons ou le dernier téléfilm produit et diffusé par la BBC.

S'il a existé donc de très nombreux ouvrages sur le sujet, il est à présent assez difficile de s'en procurer pour la simple raison qu'ils semblent pour la plupart épuisés ou n'ont plus fait l'objet d'une réimpression depuis, pour certains, plus d'un siècle...

Fort heureusement, lorsque l'on se lance sur le sujet, il existe des éditions comme Bibliolife ou Kessinger Reprints pour vous mettre quelque chose sous la dent... Après avoir lu la suite de l'affaire Drood écrite par le traducteur Paul Kinnet en 1956, je me suis frottée ensuite à "John Jasper's secret : sequel to Charles Dickens' Mystery of Edwin Drood" d'Henry Morford et "The murder of Edwin Drood recounted by John Jasper" de Percy T.Carden.




Tout d'abord, intéressons-nous à la traduction de Paul Kinnet, dont la solution est présentée dans la dernière mouture du roman publié chez Archipoche. Si elle demeure fort agréable à la lecture, celle-ci m'a parue quelque peu convenue, et finalement assez frileuse. Pour cet auteur de polar, John Jasper est inévitablement coupable - c'est d'ailleurs un point invariable dans les 3 ouvrages ou analyses dont il sera question dans cet article, à différents degrés. Si la solution n'est pas révolutionnaire, elle paraît assez "expédiée", dans un style si rapide, si concis, si peu dickensien, que l'on n'en garde pas réellement un souvenir grandiose. L'approche de l'auteur ne paraît donc pas dans la droite lignée de l'original, ce que l'on ne peut que déplorer.

Je me permettrai donc de passer rapidement au second livre, écrit par l'américain Henry Morford, sans doute aux alentours de 1871-72. Aux 23 chapitres originaux, l'écrivain en a ajouté 26 ! De quoi réellement combler les frustrations en tout genre des lecteurs, et apaiser les esprits curieux...

Voici donc ce que nous apprend cette véritable sequel, qui demeure pour le moins intéressante et très fidèle à Dickens, tant au niveau du style, riche et complexe, que dans le traitement des personnages et de leur psychologie :

- Helena Landless est probablement le personnage phare de cette suite, puisqu'elle est décrite comme un personnage fort, indépendant et éminemment volontaire. C'est elle qui confondra John Jasper, en trouvant une alliée de poids en la personne de la "Princesse Bouffarde" (Princess Puffer, en anglais), qui craint ou hait le maître de chapelle, sans que le lecteur n'ait originellement jamais su pourquoi. Sous l'emprise d'une drogue, dont Helena a appris les secrets à Ceylan, Jasper avoue son méfait : il a étranglé Edwin Drood et caché son corps dans une ancienne crypte inexplorée de la cathédrale de Cloisterham.

- Datchery-Bazaard : ces deux noms ne sont qu'un seul et même personnage. (Cette idée a d'ailleurs été reprise dans le téléfilm de la BBC) Sorte de détective improvisé, mais de grand talent, il retrouve Edwin Drood, bien vivant. Celui-ci a pu échapper à son meurtrier, en simulant la mort, et s'est enfui de Cloisterham pour l'Egypte.

- Neville Landless : amoureux éconduit de Rosa, il deviendra probablement pasteur, avec le soutien du révérend Crisparkle, après avoir été innocenté du meurtre d'Edwin Drood.

- Rosa Bud : comme l'avait prévu originellement Dickens, cette douce et tendre jeune fille se fiancera à Robert Tartar, le voisin de Mr Grewgious, après avoir échappé à l'enlèvement fomenté par Jasper. Elle demeura finalement un personnage assez naïf et superficiel.

Pour terminer, comment ne pas évoquer John Jasper, qui avoue son crime sous l'emprise de la drogue ; crime dont il n'a consciemment plus aucun souvenir. Sa personnalité est à peine plus évoquée qu'elle ne l'était chez Dickens... Après une tentative d'enlèvement avortée auprès de Rosa, il s'enfonce davantage dans la prise d'opium, et ne quittera quasiment plus ses brumes insondables. La jalousie qu'il éprouve envers Edwin, son amour pour Rosa (qui fait partie intégrante de sa jalousie) : tout cela, le lecteur l'imaginait ou le savait d'avance. Quant à connaître les raisons qui l'ont poussée à devenir un meurtrier, le mystère reste entier. 
D'autre part, il semble coupable d'autres crimes, plus anciens, évoqués d'une manière très lapidaire par le personnage de Princess Puffer dans les derniers chapitres. Les raisons de sa haine, très approximatives, très désordonnées - ce personnage étant lui-même sous l'emprise perpétuelle de la drogue - semble sorties d'un délire, dont on peut douter de la réalité même... John Jasper mourra finalement misérablement, comme il aura vécu, esprit pourtant supérieur, qui haïssait l'enfermement et l'isolement de sa vie, emporté dans une ultime et fatale prise d'opium. Il échappera donc à la justice.
Finalement, on continuera à ignorer le fond même de sa vie et de ses motivations. En faire un personnage byronien, archétype du mal et de la débauche, comme on s'est plu à le décrire dans de nombreuses analyses, serait finalement assez réducteur. La folie demeure sans doute sa plus grande énigme, et sa plus grande tragédie. Le lecteur n'en saura jamais plus.

Je ne résiste cependant pas à vous poster un extrait du chapitre tout à fait magnifique "Going elsewhere", où son personnage semble le plus approfondi, et qui évoque la tragédie de son addiction :

"The time has come to him, when of all the blessings of that life which is an aggregated distorsion, the richest is to be found in a single draught of the waters of Lethe. To be-small matter now, for even a short period, no longer himself, no longer any one, no longer anything - to have, for that certain period, neither part nor lot in the world of thought, feeling, sensation, hope, fear, dread, love, hate, revenge, deceit, calculation - to be, indeed, for that period, one of the very weeds that lie noisome and rotting on the bank of the River of Forgetfulness - this has come to be the chief good. And here he has found it, once again, and in different measures, according as the changes in his own system and the developments supplied by the dark wisdom of others, have made succeding stages possible. How magnificently he found that for which he was looking, almost in despair - last time ! How splendidly he sank, almost in a moment, like a stone dropped into the very centre of the dark pool - only making a few pleasant ripples, as he went down, shaping themselves into rosy clouds and fairy forms, to an accompaniment of the most delicious music ; and how he came up again, after a time - with no more effort - weakened a little, certainly, in body, but oh, so refreshed in mind, and ready to grasp, in a moment, what he needed to grasp for the difficult duties of his waking hours !" 

Passons à présent à "The murder of Edwin Drood recounted by John Jasper".

Un titre prometteur, et une introduction plutôt alléchante. Ce livre court et visiblement concis augurait de redoutables découvertes.
Ce livre, écrit en 1920 par Percy Carden, fait partie de ces quelques livres droodistes, encore disponibles en réimpression, d’après l’édition originale.
Une courte introduction pleine de mélancolie nous présente John Jasper dans la cellule de sa prison ; il a été condamné à être pendu pour avoir commis un double meurtre. Selon ses dires, il se contentera de raconter les faits, rien que les faits, en se plaçant d’un point de vue extérieur au récit, comme si lui-même n’en faisait pas partie, afin d’atténuer l’antipathie du lecteur.
L’intérêt même du livre retombe donc aussi vite : ce personnage si singulier et qui est demeuré en 150 ans une des plus grandes énigmes de la littérature victorienne, va, de ce point de vue peu risqué, si j’ose dire, certainement le rester.
Car en effet, le livre n’est qu’une relecture du roman original, en plus bref et plus impersonnel. On peut être certain d’une chose seulement : John Jasper a effectivement tué son neveu, avec un parfait sans froid, en ayant prémédité la chose depuis longtemps. On y discerne peu ses réelles motivations, comme c’est déjà le cas originellement chez Dickens, ou encore chez Henry Morford. Le cas Drood, s’il semble résolu pour sa part, n’aura pas pour autant levé le mystère sur Jasper. L’opium l’a-t-il rendu fou ? On serait porté à le croire ; sentiment renforcé par le fait que l’on perçoit nettement dans ce livre une jalousie manifeste dans tout ce qui touche Edwin. Rosa fait partie intégrante de cette jalousie, il la convoite comme il convoite terriblement l’existence d’Edwin. Il a, en résumé, tout ce que lui n’aura jamais.
Son amour pour Rosa n’est guère plus développé que chez Dickens : il se limite à une répétition de la désastreuse demande en mariage qu’il lui fait, et qui ne réussit qu’à la faire quitter Cloisterham pour Londres, où elle se réfugie chez Mr Grewgious. Il ne la reverra plus.
Puisqu’il est question de double assassinat, et qu’il est confirmé au lecteur dès le départ qu’Edwin Drood est bel et bien mort, l’autre meurtre dont Jasper devra répondre est celui de Neville Landless, qui meurt en ayant tenté de confondre Jasper, comme cela est le cas, à quelques détails près, dans la postface de Paul Kinet, écrite dans les années 50.
Après avoir lu 3 versions différentes de sequels plutôt anciennes, et qui me laisse un peu sur ma faim, je peux honnêtement dire être restée fidèle aux options prises dans le récent téléfilm de la BBC, qui, si elle a évincé quelques aménagements prévus par l’auteur, et fait abstraction de quelques personnages (Mr Honeythunder, Robert Tartar), n’en demeura pas moins la seule sequel qui a réussi à prendre l’histoire à contre-pied, et qui a su prendre des risques très grands en ménageant une telle place au personnage de Jasper qui avait jusque- là été tenu dans l’ombre, et considéré avec tout simplement quelque embarras. On ne peut décidément pas trouver des excuses à un meurtrier opiomane, n’est-ce pas ? Gwyneth Hughes a réussi ce tour de force, et parvient à susciter chez le spectateur le plus sceptique, un élan de pitié lorsque le personnage prend conscience de l’horreur de son geste (après certes une année entière d’occultation totale), et en l’entendant une dernière fois murmurer sa rédemption avec une résolution si nette, comme s’il entrevoyait enfin dans la mort, la fin de ses souffrances.

Freddie Fox, Matthew Rhys et Tamzin Merchant

22 juin 2012

Claude Frollo : les identités tragiques d'un personnage méprisé (6/6)

Première partie / Deuxième partie / Troisième partie / Quatrième partie / Cinquième partie


1999 : Richard Berry : irrévérence et rock'n roll


Soyons honnêtes : que celui qui n'a jamais ri devant cette adaptation délirante me jette la première pierre... Alors oui, on pourra bien accorder qu'elle soit iconoclaste, un tantinet vulgaire, et que le scénario soit un délire continuel... Mais bon, comment se voiler la face, et ne pas éprouver un plaisir coupable devant l'impertinence des dialogues, et  l'irrévérence avec laquelle est traitée les personnages originaux ? On se marre donc, et de très bon coeur. Et à plus forte raison lorsque l'on voit Frollo, campé par un Richard Berry qui prend son rôle très au sérieux, dans la peau d'un prêtre plutôt rock'n roll, qui a pris pas mal de libertés avec la religion, et qui se voit doter de répliques jubilatoires de ce genre :

(s'adressant au gouverneur) "Toi et ta truie, j'vais vous claquer !"

ou encore :


 (au sujet de Quasimodo) "Mi-homme, mi-robot, il est l'arme absolue. Il peut survivre dans la jungle pendant 3 mois en mangeant ses propres excréments."


(à Quasimodo) "T'as changé, Quasimodo. T'es plus le même. Tu te rends compte ? Tu rentres, tu sors, c'est pas un hôtel, ici ! De toute façon, t'as raison, tu sais qu'il y aura toujours Frollo, la boniche ! Tu réalises ? J'suis le dernier à employer un bedeau, tous les autres ils sont passés à l'électrique !"


J'en passe et des meilleures...




Richard Berry/Frollo ou comment assumer pleinement son sacerdoce sans prises de têtes


Quand on éprouve quelque intérêt pour le personnage original, grave et torturé par ses états d'âme, on apprécie...

Du reste, le personnage de Phoebus, interprété par Vincent Elbaz n'est pas mal non plus, dans une géniale caricature d'un capitaine de police au QI désastreux. Seul bémol, une Esméralda relativement agaçante, et un Quasimodo un peu niais...

Richard Berry et Mélanie Thierry en adolescente tête à claques.

Comment tirer un enseignement quelconque de cette interprétation, qui n'a jamais voulu en transporter aucun ? On apprécie la désinvolture et le scénario halluciné (et hallucinant), et on s'en régale avec une honte délicieuse...

***

Cet article clôture donc cette humble rétrospective des interprétations de Frollo les plus connues ou les plus notables. Qui sait ? Peut-être se verra-t-elle agrémenter dans les prochains mois d'une nouvelle mouture, avec Tim Burton aux commandes ?  Wait & see...

26 mai 2012

Claude Frollo : les identités tragiques d'un personnage méprisé (5/6)

Première partie / Deuxième partie / Troisième partie / Quatrième partie 

1998 : la comédie musicale de Cocciante et Plamondon : les avatars de Claude Frollo en quatre temps.

J'en conviens immédiatement : rédiger cet article ne sera pas chose aisée. Tout simplement pour l'excellente raison que cette version, imaginée, écrite et mise en musique par Richard Cocciante et Luc Plamondon en 1998, est à l'origine de mon addiction non dissimulée à l'histoire originale de Victor Hugo, et donc directement au personnage de Claude Frollo. Le sujet me tenant particulièrement à coeur, il me sera donc d'autant plus difficile de lui rendre parfaitement justice.

Cette comédie musicale accusant déjà ses 14 ans d'existence (et non de représentations, ce qui est bien regrettable), beaucoup d'entre vous se souviendront avec plus ou moins de nostalgie du phénomène qu'a été Notre-Dame de Paris à sa sortie, notamment grâce au succès rencontré par les mélodies de "Belle" ou  du "Temps des cathédrales", qui du reste n'ont pas pris une ride...

Tout d'abord, je vous invite à visiter le site de F.de l'O., qui a réalisé un magnifique article sur le sujet au moins de janvier, qu'il me sera difficile d'égaler !

L'assimilation du drame des gitans et de la violation du droit d'asile, aux centaines de sans-papiers expulsés de l'Eglise St-Bernard à Paris en 1996, a conféré à la comédie musicale un caractère résolument moderne, et a multiplié par d'habiles rappels aux situations alors contemporaines, l'idée d'une proximité entre le monde médiéval et notre époque. Ce sentiment est bien entendu renforcé par une mise en scène dépouillée, presque simpliste (la cathédrale n'est finalement représentée que par un gigantesque mur de fond modulable, et de très beaux jeux de lumière), et par des costumes intemporels, d'une désarmante sobriété.
Evidemment, la musique est aussi et principalement sa grande force. Cocciante a réussi à combiner dans cette oeuvre musicale, un enchaînement de titres dont on peut difficilement bouder le charme, qui se joue de toutes les émotions et de tous les registres : enjoué, tendre, désespéré, violent ou encore populaire, le spectateur en a décidément plein les oreilles...

Mais intéressons-nous maintenant à celui qui nous intéresse ici, et à son incarnation originelle dans cette comédie musicale.
Ce Frollo a quelque chose de résolument troublant. Il apparaît dès les premiers instants sous les traits d'un prêtre sévère, aux allures inquiétantes et accusatrices. Il y a de la xénophobie sous ses allures méprisantes, une froideur hautaine, un orgueil impénétrable dans ses regards d'une pesanteur accablante. En résumé, une âme imperméable aux passions du monde, une statue de marbre que l'on juge ignorant de toutes ses fièvres et de toutes ses inconséquences.

Daniel Lavoie dans l'Enfant trouvé
Au fil de l'intrigue, et finalement très tôt dans le déroulement de l'histoire, l'enveloppe de Frollo se fissure. Son infaillible droiture morale, la rigidité même de son allure, s'altèrent. Monument d'austérité qui se meut en  chair vulnérable et tourmentée : transmutation qui se produit dans la souffrance d'un amour voué au silence, à l'étouffement. Cette transformation est si visible dans le jeu et dans le maintien de Daniel Lavoie, son interprète original, que l'on comprend immédiatement la puissance de ses tourments intérieurs, sans avoir recours à de longues dissertations... Une seule chanson suffit (Tu vas me détruire), pour saisir l'ampleur de son drame personnel, et en même temps l'inéluctable tragédie qui en résultera.



Sa voix de baryton, aux accents autoritaires et lugubres, contrebalancent parfois ses allures statiques et enfermées, comme si l'interprète paraissait par instant mal à l'aise avec la rigidité de son personnage, qui à défaut d'expressions corporelles, se doit de tout exprimer par un timbre sombre ou rageur et par des regards désespérés.

Daniel Lavoie et Hélène Ségara dans Un matin du dansais

Du reste, cette version musicale de Frollo est sans doute l'une des plus réussies, car sans aucun doute l'une des plus absolues et des plus marquantes, puisqu'elle a conservé la nature du personnage et de ses tourments, en le résumant habilement sans tomber dans de désastreux excès, comme on a pu le voir dans certaines adaptations précédemment citées. Frollo demeure véritablement l'instrument du destin, tel que Victor Hugo l'a conçu dans son roman, il est l'acteur de la tragédie en même temps que son moteur, et c'est ce qui fait toute la force de cette incarnation que l'on ne pourra décidément que saluer.

Daniel Lavoie n'est cependant pas le seul interprète à avoir prêté sa voix et ses traits au personnage sur scène. Notre-Dame de Paris a en effet fait l'objet d'adaptations à l'étranger, qui ont connu un succès aussi grand (sinon plus grand) que dans nos pays francophones. Il est donc utile et je dirais même, nécessaire, de citer ces interprètes qui ont su apporter d'autres nuances à Frollo, par rapport à leur modèle original.

Commençons tout d'abord par Vittorio Matteucci, que j'ai pu découvrir grâce à Lorinda, dans la version italienne de la comédie musicale tournée aux Arènes de Vérone en 2002.
Il n'existe pas réellement de différences scéniques entre la version originale du Palais des Congrès, et la version italienne. A mon sens, les principales distinctions entre l'une et l'autre résident justement dans l'incarnation de Frollo et d'Esmeralda. La bohémienne, interprétée par Lola Ponce, est gaie, danse et chante avec une vivacité communicative, et réussit véritablement à charmer le spectateur par sa grâce juvénile et son charme tout naturel (et s'éloigne donc d'une Hélène Ségara plutôt statique et beaucoup moins enjouée...) Quant à Frollo, il est à la fois tout aussi terrifiant que dans la version française, tout en étant diamétralement différent. Disons pour simplifier qu'il est doté d'un charisme trouble mais écrasant, que le mépris visible sur ses traits se double de gestes agressifs plutôt que froids. Il y a une fièvre dans ce personnage, non pas latente, mais accablante.

Vittorio Matteucci
Le spectateur ressent de ce fait beaucoup moins la souffrance taciturne du personnage, puisque ses sentiments et son drame ne sont pas ou peu réfrénés.  Le personnage paraît donc plus agressif qu'il ne le devrait, plus inquiétant dans sa véhémence que dans ses douleurs muettes et dans ses dilemmes intérieurs.
(Voir la version italienne de Tu vas me détruire : Mi distruggerai sur youtube)Ce qui ne l'empêche pas bien entendu d'être une très belle et assez magnétique incarnation de l'archidiacre de Notre-Dame, mais sans doute pas celle qui aura ma préférence. L'interprétation suivante emportera davantage mon adhésion...

Au-delà de la version italienne, on peut en effet trouver également un interprète difficilement égalable en la personne de Alexandr Marakulin, dans la version russe, qui a connu un très beau succès au cours des années 2002 à 2005. Il est cependant regrettable que cette version n'ait jamais été filmée dans son entièreté, malgré la très grande qualité des voix de ses interprètes.

Alexandr Marakulin dans "Etre prête et aimer une femme"

Alexandr Marakulin donne à voir un Frollo... plus humain, plus compréhensible peut-être, dont l'interprétation me fait personnellement beaucoup penser par certains aspects à celle de Kenneth Haigh en 1976. Mais il est nécessaire de nuancer. Quand je dis plus humain, je veux dire principalement plus expressif dans ses douleurs, plus misérable dans l'expression de son amour, que ses homologues français ou italiens. Il y a une réserve presque touchante chez ce Frollo, dont la puissance dramatique se révèle entièrement dès les première notes de "Ti gibel maya" (titre de la version russe de Tu vas me détruire), ce qui ne prive pas pour autant le personnage de ses bassesses et de sa lâcheté. Au-delà de ses performances scéniques, on ne peut que saluer cette voix de baryton-basse, aux lugubres accents slaves, qui confère une merveilleuse opposition entre des apparences pitoyables et une fierté révolue, entre une âme froide, mesurée, et un coeur désespéré, qui entraînera tout ce qu'il touche vers le fond.


Pour preuve, il suffit de voir la scène de Visite de Frollo à Esmeralda et Un matin tu dansais, pour se rendre compte du très beau travail réalisé sur le jeu des deux personnages. Cette version de Frollo est à mon humble avis, l'une des plus abouties que l'on ait pu voir. 




A suivre dans un prochain et dernier article : Richard Berry dans Quasimodo d'El Paris (1999) : Sixième partie

28 avril 2012

Claude Frollo : les identités tragiques d'un personnage méprisé (4/6)

Première partie / Deuxième partie / Troisième partie

1996 : Laurent Hilaire : l'expression du paradoxe en pas de deux

Qu'on se le dise, je suis loin d'être une spécialiste du ballet, ni une très grande férue du genre...
Néanmoins, cette adaptation du roman par Roland Petit pour la scène de l'Opéra de Paris, est d'un indéniable charme : tour à tour colorée, ou lugubre, inventive ou moderne, elle ne peut décidément laisser indifférent.

Evidemment, le ballet peut être un spectacle difficile, plus difficile encore pour une adaptation d'une oeuvre où le verbe occupe une place si prépondérante. Malgré tout, les performances des danseurs (et là, je pense essentiellement à Nicolas Le Riche, qui interprète un Quasimodo bossu et courbé en deux durant tout ce spectacle grandiose), l'expressionnisme de leur jeu et de leurs regards, parviennent à résumer en deux heures des centaines de pages de drame... et de mots. La musique de Maurice Jarre, résolument moderne, se prête, s'adapte, se fond, au drame qui se joue, aux passions qui se déchaînent.

Laurent Hilaire, alors danseur étoile à l'Opéra de Paris (aujourd'hui maître de ballet), prête ses traits sévères et sa grâce féline à un Frollo torturé, égoïste, qui sous ses apparences bien respectables, se meurt d'amour pour la belle Esméralda (Isabelle Guérin), d'un amour bien sûr voué au silence, mais à la fois d'une telle pesanteur et d'une telle violence, que cette interprétation parvient à susciter plus que n'importe quelle autre, une claire et nette impression de terreur.


En effet, il y a dans le jeu de Laurent Hilaire une froideur formidable, avec son visage que l'on croirait taillé dans l'albâtre, et ses gestes d'un esthétisme véhément, mais néanmoins contenu jusqu'à l'apparition de Phoebus, et la scène d'amour entre ce dernier et Esmeralda. La souffrance du prêtre, sa jalousie dévastatrice, déferlent alors sans mesure : on assistera alors à des baisers passionnés et contraints, puis à des coups, dont on ne sait s'il s'agit de visions cauchemardesques inventées par le prêtre, ou la bohémienne.

Frollo & Esmeralda : a kiss at last ! ;-)


Il est indéniable que ce Frollo est infiniment bien interprété, malgré les raccourcis inévitables, et les adaptations nécessaires à la transposition sur scène, et la parti pris d'une violence tour à tour contenue, ou montrée avec une merveilleuse habileté. Jamais Frollo n'a été si égoïste, si méprisable, et finalement si complexe...

1997 : Richard Harris : le grand désordre

Je n'aurais sincèrement pu trouver d'autre titre que celui-là pour exprimer l'immense pagaille semée tout au long de ce téléfilm réalisé par Peter Medak en 1997. L'oeuvre en elle-même (si du moins on ose lui donner ce nom) est une absurdité en soi : la trame d'origine est si bouleversée, que l'on peine à y reconnaître l'esprit de Hugo, ou même ses personnages. Bien entendu sur la forme, on retrouve le gentil Quasimodo, la belle Esmeralda, et le méchant Frollo, le tout noyé dans un flot d'incohérences tant scénaristiques qu'historiques, qui auraient plus tendance à faire rire que pleurer... Oui, il faut l'avouer, cette version est risible sur sa forme, et Frollo, qui est bien entendu l'élément qui nous intéresse dans cet article, même s'il est plutôt effrayant à voir (un Richard Harris au crâne rasé et à la mine patibulaire), ne m'a jamais inspiré qu'une irrépressible envie de rire... Rien qu'à ce stade, on sait d'ores et déjà que le téléfilm est vraiment passé à côté de son sujet... Mais soit. Frollo a deux obsessions très malsaines : l'imprimerie (si, si) et Esmeralda (bien entendu). Est-il un personnage bon ? Le spectateur n'en sait rien... Est-il fou ? Sans doute. Est-il un sadique ? Probablement. Là, on ne peut songer qu'à la mémorable scène de flagellation, qui inspire horreur, dégoût, rires nerveux, bref, des réactions qui toutes ensemble font un très mauvais mélange...

On songerait presque au Nom de la Rose d'Umberto Eco, dans une version comique... Et encore, la comparaison est flatteuse.
Vraiment, que dire sur cette version ? Que Richard Harris a tenté de sauver les meubles, en prenant des poses qu'on dirait sorties d'un film d'horreurs des années cinquante ?

En bref, on rente pantois devant un tel fatras...  Un conseil : mieux vaut passer son chemin...

Dans un prochain article : La version musicale de Cocciante et Plamondon : Cinquième partie

06 avril 2012

Claude Frollo : Les identités tragiques d'un personnage méprisé (3/6)

Première partie / Deuxième partie

1982 : Sir Derek Jacobi : dramatisme et humanisme shakespeariens


Inutile de le dissimuler : j'avoue avoir véritablement tardé à rédiger cet article, pour la simple raison qu'il me fallait  l'entamer par quelques mots au sujet de cette adaptation télévisée de 1982, qui n'a jamais soulevé mon enthousiasme. Et pourtant... comment pourrait-on se plaindre de la pléiade d'acteurs tous plus excellents les uns que les autres, qui figurent sur une affiche plutôt alléchante ? En effet, on trouve le toujours étonnant Anthony Hopkins en Quasimodo (même s'il est à peine reconnaissable, il faut en convenir), le troublant David Suchet en Clopin Trouillefou, ou même Robert Powell, à qui l'on a bizarrement confié le rôle de Phoebus, choix que je m'explique difficilement, mais passons. On remarquera également les apparitions du talentueux Tim Piggott-Smith, ou encore de l'immense John Gielgud.
Malgré tout, le charme n'opère pas. Le sentiment fort mitigé qui a inspiré mon sentiment depuis le premier visionnage, perdure. L'adaptation toute entière laisse indifférent, l'intrigue, même bouleversée - et ce ne sera pas son principal défaut - ne parvient pas à susciter le moindre attachement, la moindre étincelle à cette adaptation, qui malgré son soin visible, apparaît invariablement désordonnée, vaine, ... creuse en quelque sorte.
Lesley-Ann Down est certes fort jolie, mais maquillée et si parfaitement manucurée en plein XVe siècle, que cela est presque risible... Mais ce n'est finalement pas ici le propos, puisqu'il est n'est question que de Claude Frollo, c'est-à-dire dans le cas présent, de l'immense acteur britannique Sir Derek Jacobi.


Alors, bien entendu, il me sera impossible d'en dire le moindre mal, puisque force est de reconnaître qu'il fait sans doute partie des acteurs les plus talentueux, les plus éminents du théâtre anglais de notre temps.

Cette adaptation, il est nécessaire de le concéder, fait la part belle à un Frollo ayant conservé son sacerdoce, et bénéficiant de plus d'une notoriété quelque peu excessive, par rapport à ce qu'elle est dans le roman. Il demeure néanmoins, à l'égal de Quasimodo, l'un des personnages centraux de cette fresque. Il apparaît tout d'abord comme un personnage respectable et bon, ce qui sur le fond est tout à fait juste. Mais où est passée la part d'ombre du personnage que l'on peine à entrevoir ? Existe-t-elle vraiment dans cette adaptation ? Si l'on peut bien comprendre l'ampleur son égoïsme, de sa lâcheté, où sont passés ses tourments intérieurs ? Que devient cette quête d'absolue, ces heures de solitude et recherches vaines passées à se consacrer à l'alchimie, cette science obscure qui l'écarte du monde, et qui renforce la crainte qu'il y suscite ? Où sont ses heures lugubres de questionnement sur l'utilité de Dieu, de sa vie, ses instants de délire et de fièvre ? Où se sont égarées sa solitude, sa froideur qui dissimule pourtant bien des accès de passion ?
Même si Derek Jacobi a laissé transparaître une belle humanité chez Frollo, le scénario a pris des raccourcis maladroits, donnant à voir de lui un résumé bien simpliste. Dans un certain sens, cette incarnation est une nouvelle fois unidimensionnelle.
Certes, l'acteur apparaît dramatique dans sa déclaration, pathétique dans ses larmes (et on y reconnaît une intonation toute shakespearienne), mais son personnage paraît si éloigné de son modèle original, qu'il est difficile de percevoir l'intensité de son désespoir, ou plus généralement de la pesanteur tragique de l'histoire...
On le verra plus simplement comme un obsessionnel pervers plutôt qu'un prêtre torturé par des contradictions violentes... On ne pourra malheureusement que le déplorer...


1996 : le Juge Frollo selon Disney : l'incarnation de la justice implacable

Je n'ai pu bouder mon plaisir en découvrant pour la première fois cette adaptation de Disney. Tout d'abord, il serait malhonnête de dire qu'elle ne serait pas d'excellente facture, comme cela est le cas de la plupart des productions de ce studio. Certes, on pourra y trouver à redire sur le scénario, qui s'éloigne bien entendu du roman, mais comment transcrire avec respect la tragédie de ce roman, et la violence des sentiments des protagonistes, lorsque l'on s'adresse principalement à un public de moins de 12 ans... ?
A vrai dire, le résultat est tout à fait admirable dans l'ensemble, et vu la catégorie de cette adaptation, il serait parfaitement injuste de la fustiger. Un très beau travail a été fait sur les personnages : Esméralda est belle et courageuse ; Quasimodo est un coeur tendre ; Phoebus est un preux chevalier animé de bons sentiments. En bref, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Evidemment, il n'y aurait ni moteur, ni fondement à histoire s'il n'y avait cet incontournable archétype du mal, que l'on retrouvera dans l'incarnation de Frollo.

Bien entendu, dans ce contexte, il est bien compréhensible que celui-ci ait subi une nouvelle dichotomie. A l'image du Frollo de 1939, il sera juge. Un juge tout puissant, cruel, calculateur, xénophobe, mais dévôt. Il m'a fait penser à une sorte d'Ivan le Terrible, en version édulcorée...
Car ce Frollo, malgré qu'il ait été très fortement modifié sur le fond, n'en est pas moins très inquiétant sur la forme. Il apparaît comme une grande figure noire, mais non manichéenne. Les scénaristes l'ont terriblement et merveilleusement nuancé. Il recueille Quasimodo, car contraint à le faire par l'archidiacre de Notre-Dame (et là, on retrouve à nouveau une espèce de conscience extériorisée, sous la forme de l'homme d'église, toujours dans l'esprit de la version de 39). Il élève l'enfant en quelque sorte, sans l'aimer. Ici, il n'a pas de frères, pas de sympathie, pas de miséricorde, rien en somme qui le relierait à une quelconque humanité. Aime-t-il Esmeralda ? Cela est même difficile à dire... Mais il la convoite, et il l'exprime en mots rageurs, violents.


La  scène où Frollo se trouve face aux flammes de sa cheminée, dans lesquelles se dessine Esmeralda, est une évocation finalement osée de la véhémence de ses sentiments, mais ô combien réussie. L'entièreté du graphisme de cette séquence est une merveille, et elle a réussi à présenter les délires fiévreux du personnage, en mêlant le lugubre et l'outrancier.
Le talent de Jean Piat au doublage n'y est certainement pas étranger...



Il y a du Bernardo Gui dans cette incarnation de Frollo, dans son acharnement mauvais, dans ses craintes fiévreuses d'une punition divine. On perd de façon inévitable la tragédie réelle de ses tourments intérieurs, d'aimer et d'être haï en retour, de s'enfoncer peu à peu dans une folie qui détruira tous ceux qu'il touche.

Le personnage de Disney n'échappera d'ailleurs pas à son destin terrible : les excès de sa folie et de son acharnement le précipiteront dans l'abîme... Un abîme de feu, dans lequel il craignait tant de chuter.

A venir : Laurent Hilaire (ballet de Roland Petit) et Richard Harris (1997) : Quatrième partie

17 mars 2012

Claude Frollo : Les identités tragiques d'un personnage méprisé (2/6)

Première partie de l'article


1956 : Alain Cuny  : l'oeuvre au noir


Cette version de Notre-Dame de Paris, réalisée par Jean Delannoy, est la première adaptation cinématographique que j'ai pu voir, après la comédie musicale de Cocciante. Tout d'abord, elle est incontournable, car elle réunit au moins deux des plus grandes stars de l'époque, Gina Lollobrigida (Esmerlada) et Anthony Quinn (Quasimodo). On y trouve également d'éminents acteurs de théâtre, tels l'excellent Jean Danet (Phoebus), l'inénarrable Robert Hisrch (Gringoire), ou encore Philippe Clay (Clopin) , Jacques Dufilho (Guillaume Rousseau) et Roger Blin (Mathias)... et bien entendu celui qui nous intéresse ici, Alain Cuny. Cet acteur incontournable dans le répertoire de la tragédie et du théâtre claudélien, était un personnage singulier (voir la magnifique filmographie réalisée par Lorinda), esthète solitaire, philosophe de l'absolu, naviguant quelque part hors du temps dans une contemplation abstraite de la vie et des choses.

Il est presque utile de préciser ces éléments de sa personnalité pour parfaitement cerner la perception que l'on peut avoir de ce Frollo, qui sans avoir pu atteindre la perfection pour d'évidentes raisons, s'en est tout de même beaucoup approché. La singularité de l'acteur s'est pour ainsi dire transmise au personnage, à moins que ce ne soit l'inverse... Mais revenons-en tout d'abord à l'adaptation en elle-même et au statut de Frollo. Premièrement Jean Delannoy a réalisé là une adaptation très colorée (un peu trop peut-être), très proprette, très comme il faut, comme l'exigeait sans doute l'époque, et comme le voulait aussi probablement l'exportation américaine... Et puis, il y a Prévert au scénario, qui pourrait réellement se plaindre ? Des propos mêmes de Jean Delannoy (extraits de l'interview qui se trouve en bonus du dvd), il était souhaitable et volontaire que le statut de Frollo soit indéfini. On le voit en juge, ou en alchimiste, il semble vivre dans la cathédrale, agit en un homme d'église, et s'habille pratiquement comme tel...  Au départ, le scénario prévoyait qu'il soit prêtre et comme Jean Delannoy le souligne, Alain Cuny était prêt à se faire tonsurer pour la circonstance... Seulement, en raison de la coproduction américaine, il leur a été vivement conseillé d'oublier le sacerdoce, ou du moins ne pas le mentionner. Cela était même tellement recommandé, que certaines scènes du film où apparaissent Frollo ont du être tournées en double : le Frollo de la version américaine n'a pas les mêmes dialogues, ni les mêmes gestes que dans la version française (on peut d'ailleurs voir des extraits de cette fameuse version sur youtube très facilement), et ce, toujours en vue de passer son silence son état ecclésiastique.

Alain Cuny observe Esmeralda


 Certains trouveront l'interprétation d'Alain Cuny très monocorde. Il est vrai qu'il est un monument de froideur, avec son visage que l'on croirait taillé dans la pierre, et ses attitudes pour le moins austères. Mais le Frollo original, n'a-t-il pas lui aussi cette apparence glaciale, et cette même intelligence vibrante dans le regard, qui laisse entrevoir le fond d'une âme bouillonnante et insondable ? Je pense que l'acteur s'est approché autant qu'il est possible de le faire, dans le cadre de ce film, du personnage. Il alterne les instants de mépris distant, avec des accès de jalousie, de fièvre et de folie qui sont sans doute aucun les plus respectueuses de l'esprit original.

"Vivante ! Tu es vivante ! Mais qui t'a apportée ici ? Le diable ou dieu sait qui !"
Ce Frollo, malgré sa complexité, n'en demeure par moins abject, puisqu'il livre pour ainsi dire la cathédrale à l'armée du Roi, et en même temps, Esmeralda au gibet. On ne sait si le personnage est devenu fou, car ici pas de rire dément, ni d'exclamations haineuses. Il garde un silence coupable, et une expression glaciale. Reste sa lâcheté manifeste, puisqu'il incite presque, par son indifférence, à pousser Quasimodo à le tuer, quand lui n'en a pas le courage.

Bien entendu, comme on l'aura compris, il existe des différences certaines entre le personnage du roman et celui campé par Alain Cuny, mais ce film reste sans doute la meilleure adaptation qui puisse être vue, et donnant à voir un Frollo, d'un statut certes indéfini, mais qui s'est approché autant qu'il était possible de la véritable nature de son homologue littéraire.

1976 : Kenneth Haigh : premier retour aux sources


Au même titre que l'adaptation précédemment citée, j'ai une très grande affection pour cette version réalisée par la BBC en 1976. Tout d'abord, il est à noter que celle-ci est pratiquement introuvable, car uniquement éditée en dvd chez Just Entertainment aux Pays-Bas et miraculeusement disponible en Belgique par ce biais... C'est donc avec une certaine curiosité et beaucoup de réserve que j'ai visionné cette adaptation la première fois, dont vous pourrez trouver la critique sur ce blog par ici : NDDP 1976.

Certes, les décors sont en carton-pâte, les éclairages sont chiches... A vrai dire, il s'agirait plutôt d'un théâtre filmé, et non d'une adaptation télévisée. Les acteurs y sont inconnus pour la plupart, mis à part peut-être Warren Clarke (qu'on a pu voir dans Our Mutual friend, dans le rôle de Bradley Headstone, tourné la même année), et David Rintoul (le Mr Darcy de l'adaptation de Pride & Prejudice de 1980).
La chose qui m'a sous doute le plus gênée est effectivement ce manque visible de moyens, et peut-être aussi une Esméralda pas très jolie, et qui danse affreusement mal... ! Mais passons... ^_^

Cette version comporte deux épisodes, et permet donc de s'attarder un peu sur certaines scènes passées à la moulinette dans les adaptations précédentes, si elles n'en sont tout simplement pas absentes. Ce qu'il y a de plus estimable à mes yeux, est qu'elle est réellement la première adaptation à laisser à Frollo son statut de prêtre, à montrer ses tourments intérieurs, sa passion et sa folie sans en avoir modifié la nature. La dichotomie choisie dans les adaptations les plus primitives, a laissé la place, d'une façon franche, à une présentation claire et nette du personnage, tel qu'il avait été imagine par Victor Hugo. Kenneth Haigh m'est apparu étrangement moins rigide que ses prédécesseurs, ou même certains de ses successeurs... Il campe un personnage relativement humanisé, même s'il garde une apparence glaciale, et particulièrement lugubre tout au long de ces 2 épisodes.

Kenneth Haigh (Claude Frollo 1976)
Ce qui est sans doute le plus frappant ici, mais de très cohérent par rapport à l'oeuvre, sont ses sursauts 
de sentimentalité, qui arrivent sans crier gare. On le trouvera donc tour à tour torturé, haineux, abject, puis transis d'amour, prêt à se damner. Dans ces scènes justement, l'acteur parvient à passer avec aisance de son attitude respectable, hautaine, terrifiante, à celle d'un homme au bord du gouffre, déchu, pitoyable.

Viste de Frollo à Esmeralda (Kenneth Haigh et Michelle Newell)


Même si ce Frollo n'est certainement pas parfait lui non plus, puisqu'il me paraît physiquement bien loin de l'image que l'on peut s'en faire durant la lecture, l'interprétation m'a parue la plus convaincante, et assurément la plus riche puisqu'elle a surtout conservé l'essence du personnage, et a donc permis de s'éloigner de l'aspect manichéen dont on avait usé jusqu'ici. Les éléments de sa personnalité se sont rassemblés, fédérés enfin en une seule et même entité : il n'y a plus de dispersions, ni d'incohérence des évènements et de la tragédie même de l'histoire, et il faut y saluer la performance de l'acteur dans ce rôle riche, mais complexe, qui a peut-être initier un probable retour aux sources...


A suivre : Sir Derek Jacobi (1982) et le Juge Frollo de Disney (1996) : Troisième partie

13 mars 2012

Claude Frollo : Les identités tragiques d'un personnage méprisé (1/6)

Voilà plusieurs mois que j'envisage de réaliser un article, aux allures de rétrospective, afin de présenter les différents visages de ce personnage ô combien passionnant, mais terriblement malmené au fil des adaptations (et non forcément des interprétations), qui se sont succédées au cours du XXe siècle.

En quelques mots...

Crée en 1831 par Victor Hugo, personnage "moteur" de l'intrigue de Notre-Dame de Paris, Claude Frollo est présenté comme la figure intellectuelle du roman. Sombre, réfléchi, solitaire, l'archidiacre de Notre-Dame est un personnage estimé, respecté, mais craint. L'alchimie, la science, l'étude sont l'essence même de sa vie. Il a élevé son jeune frère Jehan, a recueilli Quasimodo, enfant abandonné sur le parvis de la cathédrale, a pris Pierre Gringoire sous son aile. Lorsque paraît La Esméralda dans cette existence austère, il a 36 ans. En connaissant l'amour , il entre dans la vie. Le choc est brutal, le réveil tardif. La fatalité est en marche...

Notre-Dame de Paris a été adapté à de nombreuses reprises, comme on pourra le constater par la suite (imdb dénombre une trentaine titres, en incluant les variations sur le thème, mais sans compter les ballets et les opéras). Claude Frollo, cette figure délicieusement complexe, a donc subi autant de transformations qu'il était possible d'en imaginer, mais pas nécessairement dans le meilleur sens du terme. Les raccourcis maladroits se sont succédés aux adaptations politiquement correctes : en lui ôtant l'essence même de ses combats intérieurs, le personnage s'est au fil du temps effiloché, galvaudé, a sombré dans une suite d'incarnations manichéennes dont on verra les tristes dérives.
1923 : Nigel de Brulier et Brandon Hurst : Petit manuel de dichotomie avancée


Il n'aura pas fallu attendre longtemps avant de voir le cinéma malmener le personnage. Ce film muet de Wallace Worsley a fait la part belle à Quasimodo (merveilleux Lon Chaney, à peine reconnaissable sous son maquillage particulièrement hideux, mais qui demeure une très belle, émouvante et dramatique adaptation du personnage). Ce film bénéficiait sans doute d'excellents moyens pour l'époque, les scènes de foules sont très réussies déjà, malgré une pellicule qui passe mal l'épreuve du temps... (comparé en tout cas au fantastique Fantôme de l'Opéra de la même époque, et avec le même maître de la transformation aux commandes, l'incroyable Lon Chaney). Mais concernant Claude Frollo, ma foi, autant le dire immédiatement, celui-ci a subi une transformation toute nette : il s'est tout simplement scindé en deux entités bien distinctes : un prêtre (ou un archevêque même dans ce cas, si j'ai bien saisi) bon, honnête et droit dans ses sandales, j'ai nommé Nigel De Brulier (mélodramatique au possible), et Jehan, prêtre défroqué animé de sentiments fort peu recommandables (Brandon Hurst).


Nigel de Brulier (Claude Frollo)
Brandon Hurst (Jehan), déguisé en prêtre (???), qui s'est introduit dans la cellule d'Esméralda
Le procédé est simple, et a d'ailleurs été repris ensuite : il s'agit de contourner tout simplement l'épineuse question du sacerdoce. Que sont devenus les interrogations du prêtre imaginé par Hugo ? Où se sont envolés ses doutes sur la foi, Dieu, la religion, tandis qu'il les met face à la passion dévorante qui le précipitera dans l'abîme ? Ces interrogations, ces pages de "fièvre", de délire et de folie, n'ont simplement plus lieu d'être, et en perdant cet aspect de sa psychologie, s'envole même toute sa profondeur et toute sa raison d'exister.

A noter que le film peu être vu gratuitement, et en toute légalité sur le site des archives du cinéma muet  : http://www.archive.org/details/The_Hunchback_of_Notre_Dame

NB : Lorinda, je suis toujours en train de m'interroger sur la pertinence de la patate souriante de l'interface française... ^_^ 

1939 : Sir Cedric Hardwicke : comment la loi se substitue au sacerdoce

J'ai découvert ce film il y a longtemps, lors d'une diffusion sur Arte dans sa version colorisée. Et je l'avais à vrai dire peu aimé, malgré un excellent Charles Laughton et la délicate et douce Maureen O'Hara, respectivement dans les rôles de Quasimodo et Esmeralda. Sir Cedric Hardwicke, éminent acteur shakespearien, prête ici ses traits (monolithiques) à un Frollo revu et corrigé une nouvelle fois par des scénaristes décidément très ennuyés par ce fameux sacerdoce... Puisqu'il est impensable de lui faire porter la soutane, on lui fera revêtir une autre robe : celle du juge. Cette idée, toute neuve à l'époque, sera utilisée elle aussi à une autre occasion, mais nous en reparlerons. Un personnage de prêtre est néanmoins conservé dans cette trame, et a priori uniquement pour la forme, puisqu'il n'a guère d'utilité dans l'intrigue. Comme dans le cadre du film précédent, on aura néanmoins laisser une sorte de conscience à Frollo, une espèce d'extériorisation de ses débats intérieurs, par la présence d'un homme de Dieu qui s'évertuera, en vain, à le ramener vers la raison.

Sir Cedric Hardwicke
 La nature de ses rapports à Esmeralda, présentés sous des dehors soit purement pervers, soit  désespérément puérils ("you like animals !!!"), sont à mille lieues de la peur irrépressible, puis de la haine sauvage, qu'elle éprouve à son égard dans le roman. On a peine à y reconnaître véritablement la nature véritable des personnages d'origine...

Maureen O'Hara (Esmeralda) et Cedric Hardwicke (Frollo)
A suivre : Alain Cuny (1956) et Kenneth Haigh (1976) : Deuxième partie