14 février 2019

Death and Nightingales (roman d'Eugene McCabe et minisérie BBC)

Roman d'Eugene McCabe, paru en 1992 (trad.française : Ode funèbre)

Mini-série en 3 épisodes de 55 minutes, adaptée et réalisée par Allan Cubitt pour la BBC, avec Ann Skelly (Beth Winters), Jamie Dornan (Liam Ward) et Matthew Rhys (Billy Winters), Charlene MacKenna (Mercy Boyle)

Beth, jeune femme de vingt-deux ans, vit à Clonoula, vaste domaine de la campagne de l'Ulster, avec son beau-père, Billy Winters, riche et prospère exploitant d'une carrière. Tiraillée entre son amour pour sa terre et les liens toxiques qui l'unissent à Billy, Beth cherche désespérément un échappatoire, qu'elle trouvera en Liam Ward, l'un des exploitants de Clonoula. Il demande alors à Beth de s'enfuir avec lui pour l'Amérique, en prenant soin de dérober d'abord l'or que son beau-père dissimule jalousement dans son coffre...

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Je ne connaissais ni Eugene McCabe, éminent écrivain irlandais, ni ce roman, avant de découvrir les premières images de l'adaptation que la BBC en a faite il y a quelques mois... L'atmosphère inquiétante et les relations conflictuelles des personnages présentées dans la bande-annonce, augurait une histoire pour le moins singulière et oppressante. Lors de mon récent séjour sur l'île d'émeraude, une sympathique libraire m'a vivement recommandé le roman, un classique contemporain de la littérature irlandaise. J'ai donc sagement obéi au conseil, et ai lu ce roman assez court (un peu moins de 300 pages) avec énormément d'enthousiasme (je remercie d'ailleurs le magnifique et emblématique Charlie Byrne's bookshop au passage :) ) . Il y a un peu de la patte de Dickens dans le portrait des personnages d'Eugene McCabe, voire même un soupçon de roman social d'inspiration plus française au regard des situations désespérées que l'auteur faire vivre à ses personnages et dans lesquelles il se plaît à les enfermer, le tout sur fond de conflits religieux et de prémices de luttes indépendantistes... Comme vous l'aurez compris, le contexte de cette oeuvre est on ne peut plus aisé et joyeux...!

Death and Nightingales est un roman découpé de manière très cinématographique, très visuel, et que l'on referme avec un frisson assez troublé. Car l'histoire qu'il retrace, qui s'étend sur une période d'un peu plus de 24h, foisonne de sentiments contradictoires, quelque peu confus et toxiques, sur lesquels on a tendance à se poser un nombre incalculable de questions longtemps encore après la lecture. A vrai dire, même si le style et l'allure du livre lorgnent allègrement sur des classiques anglais, on est plutôt dans la gamme de personnages frustrés et inquiétants à la Zola. Ceux-ci sont tellement dépourvus d'étincelle, que l'on est plus fascinés par leur mécanique intrinsèque, terriblement ambivalente, que par leurs actions et leurs pensées néfastes. Le trio de personnages centraux n'ont vraiment rien à envier les uns aux autres dans ce registre... Et c'est en grande partie pour cette raison que le roman est aussi magnétique. Aucun personnage n'y est jamais entièrement bon ou mauvais : le rôle des bourreaux et des victimes est toujours changeant, redéfini, réajusté, jusqu'à la dernière ligne. Le personnage de Beth Winters, campé dans l'adaptation par Ann Skelly, en est d'ailleurs le meilleur exemple. Jeune femme au tempérament très affirmé, élevée par une mère catholique mais vivant dans l'ombre d'un beau-père protestant avec qui elle entretient une relation très néfaste et ambiguë, elle se jette avec entêtement dans les bras du premier homme venu, qui semble s'intéresser un tant soi peu à elle et qui se révèle être le seul dérivatif à la confusion de son quotidien. Cependant, Liam Ward, ne fait qu'y ajouter du trouble, puisqu'il est lui-même un voleur patenté, et est soupçonné par le gouvernement anglais d'avoir fourni des explosifs utilisés dans de récents attentats. Celui-ci l'incitera à voler, puis à s'enfuir sans aucun scrupules.

Beth Winters (Ann Skelly)
Beth, vivant dans des sentiments assez flous, oscillant perpétuellement entre  une haine violente et un amour vicié, se laisse séduire, mener et entraîner dans une direction qui ne vaut guère mieux que celle dans laquelle elle se pense contrainte. Elle était cependant loin de se douter que son amant, qui fait montre d'une froideur et d'un mutisme assez suspects, ne s'intéresse pas à elle, mais projette plutôt de s'en débarrasser crapuleusement à la première occasion...

Liam Ward (Jamie Dornan)
Ward, très justement campé par un Jamie Dornan très convaincant dans ce registre, est une sorte de brute taciturne, qui malgré ses allures monocordes se révèle d'ailleurs beaucoup plus nuancé qu'on ne l'aurait cru. A vrai dire, si on redoute assez rapidement le fond de la nature du personnage, celui-ci réserve d'excellentes surprises dans la progression de cette intrigue inhabituelle et plutôt anxiogène.
Evidemment, comment ne pas parler du personnage interprété par Matthew Rhys, qui comme à son habitude, excelle dans la peau de parfaits salauds... Quoique Billy Winters navigue définitivement dans des eaux bien troubles...Le beau-père de Beth peut rappeler pour ces raisons le Humbert de Nabokov, ou le Dr Pascal de Zola, par ce côté possessif et malsain, ses allures pitoyables contrebalancées par des accès de violence et de jalousie maladives. Au même titre que Beth, le personnage de Winters pose question, comme c'est d'ailleurs le cas à la lecture.

Billy Winters (Matthew Rhys)
L'acteur a d'ailleurs très bien rendu justice à son ambivalence, à ses regards circonspects d'alcoolique ou à ses expressions à vous transpercer l'âme de terreur. Sans parler de son pathétisme, de ses larmes de remords et d'affection déplacée... Dans les scènes qui opposent ce dernier à sa belle-fille, on se sent inévitablement mal à l'aise, tant les deux personnages semblent perpétuellement sur le fil, à tel point que l'on se demande réellement qui est le bourreau de qui... L'introduction du personnage de Ward dans le duo principal, ajoute en cela une oppression et une tension palpable dès les premiers instants. Je ne spoilerai pas la conclusion de cette improbable récit qui continue de jouer avec les nerfs du lecteur (ou du spectateur) avec brio, évoquant par bien des aspects les meilleures oeuvres de Du Maurier...

"What a pair we two..."
Personne n'est jamais tout à fait blanc ou tout à fait noir dans Death and Nightingales, il n'y aura pas d'étincelle, pas d'espoir, et nul n'aura droit à une quelconque rédemption, ce qui laissera une suite sans fin de questions sur le devenir des protagonistes. La frustration et le questionnement sont au rendez-vous de ce roman inhabituel et de cette série pour le moins fidèle à son matériau de base, servie par un casting de choix que l'on ne pourra vraiment pas bouder !


4 commentaires:

  1. Dickens, Du Maurier, Zola ... que de belles références ! Tu donnes vraiment envie de s'y intéresser !! En ce moment, j'ai besoin de facilité et de rose bonbon, mais je le note pour plus tard !! bisous

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  2. Oui, oui, il faut vraiment que tu le lises quand tu auras besoin d'une lecture un peu plus noire... J'ai vraiment adoré et je pense que tu aimerais aussi !

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  3. Une mini-série avec Matthew Rhys, c'est sûr que je la verrai un jour ou l'autre....le pauvre, il collectionne les rôles de méchants (il était un peu traumatisant dans Mowgli : Jungle Book aussi !) mais il doit prendre bien plaisir à les jouer. C'est étrange comme le roman a l'air d'être un mélange d'inspirations et de styles différents, autant anglais que français, avec des personnages aussi torturés, fatalistes, en demi-teinte, ni coupable, ni innocent, pas totalement. Ça ne fait que donner envie de découvrir l'oeuvre (le roman encore plus que la série, d'ailleurs, tellement tu en parles bien !). Ca a l'air bien noir, mais en même temps, en hiver, qui s'en plaindra ? ^^ Je tâcherai de dénicher le roman en version française...et de voir la série à l'occasion aussi ! En tout cas, en te lisant, je comprends à quel point le mystère noir et les personnages tourmentés de ce roman ont pu te passionner à ce point, ça se sent !

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  4. Mince, je ne savais même pas que Matthew Rhys avait joué dans Mowgli... Je l'ai loupé dans l'un de ses énièmes rôles de méchant, je vais vite me rattraper :)
    Ah oui, pour ça, le roman est bien bien noir, enfin pas plus qu'un Zola, donc, pas très joyeux comme tu t'en doutes. C'est un roman passionnant, je trouve, à cause du contexte nord-irlandais, toujours très compliqué et torturé d'une part vis-à-vis de l'oppression britannique et de l'autre, les oppositions religieuses qui commencent à peser très lourdement sur les relations entre les gens et au sein même des familles. On perçoit une vraie détresse dans les interactions entre les personnages, rien que pour cette raison. Ensuite, l'auteur a bien gratinés le trio de tête : Ward, Beth et Billy. Un trio très intriguant, qui navigue entre amour, jalousie, haine, violence... Qui mélange le tout, et il en résulte un imbroglio de sentiments vraiment passionnants à décrypter. C'est un roman qui met mal à l'aise, certes, mais je trouve que la série, grâce aux acteurs choisis, a encore renforcé ce sentiment profond de nocivité, qui pèse vraiment tout au long du visionnage. Et puis, Matthew Rhys est encore une fois bien servi, même si on ignore vraiment quel est le personnage qui au fond, remporterait la palme du pire... C'est parfois un peu lent dans la réalisation, mais le roman étant aussi assez lent, mais je trouve que cela aide à approfondir certains sentiments en s'attardant sur des postures, des regards assez lourds. La scène d'ouverture est à elle seule annonciatrice du contenu et est particulièrement magistrale... Si tu as l'occasion, je t'invite vraiment à la voir, on peut la visionner en intégralité sur youtube. Quant au roman, c'est une merveille, mais je crois qu'il est épuisé en français, à moins qu'on puisse le trouver d'occasion.

    A bientôt !

    PS : j'ai bien reçu ton mail, j'y réponds bientôt !

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