10 novembre 2018

The Woman in White (BBC 2018)

The Woman in White (BBC 2018) 

Minisérie de 6 épisodes, réalisée par Carl Tibbetts et scénarisé par Fiona Seres. 

D'après le roman de William Wilkie Collins, paru en 1860. 

Avec Jessie Buckley (Marian Halcombe), Ben Hardy (Walter Hartright), Olivia Vinall (Laura Fairlie/Anne Catherick), Dougray Scott (Sir Percival Glyde), Riccardo Scamarcio (Le comte Isidore Ottavio Baldassare Fosco), Charles Dance (Mr Failrlie),... 

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Walter Hartright, jeune peinte désargenté, accepte de devenir le professeur d'art des deux pupilles de Mr Fairlie, vieil excentrique vivant sur les côtes sauvages du comté de Cumbria. Les deux soeurs dont il a la charge, Marian et Laura, sont aussi dissemblables qu'elles ne sont complices. Si l'entente avec Marian est immédiate, Walter est cependant troublé par la ressemblance de Laura avec une jeune femme échapée d'un asile, qu'il a croisée sur sa route quelques jours auparavant. Au fil des mois, le peintre tombe follement amoureux de Laura, mais il apprend que celle-ci a été promise par son père sur son lit de mort à Sir Percival Glyde... 

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La Dame en Blanc est sans doute l'un des romans les plus populaires de l'oeuvre foisonnante de l'écrivain anglais William Wilkie Collins, paru sous la forme d'un feuilleton entre 1859 et 1860 dans le magazine de Charles Dickens All the Year Round, ensuite dans Harper's Weekly, avant d'être publié en roman. La Dame en Blanc s'inspire à plus d'un titre des récits gothiques d'Ann Radcliffe, Walpole, Maturin ou autres Lewis, eux mêmes nourris des romans épistolaires quelque peu plus anciens, parmi lesquels on retrouvera les incontournables Clarissa ou Pamela de Samuel Richardson. Ces derniers ont influencé de manière significative les écrivains victoriens les plus illustres, des Brontë à Dickens, en passant bien entendu par Wilkie Collins, Florence Warden ou encore Mary Elizabeth Braddon. On retrouve en effet dans la Dame en Blanc les ressorts principaux du genre (si on excepte la multitude de récits imbriqués, qui est à mon sens l'aspect le plus rédhibitoire de ces romans), à savoir une trame basée sur une blonde et évanescente héroïne aux prises avec un personnage masculin peu scrupuleux en voulant à sa vertu, à son héritage, à sa vie ou aux trois ensemble... Ces romans offriront donc un fort joli panel de crapules, allant du religieux détraqué au noble désargenté coureur de dots, en passant par le bandit italien recherché pour meurtre... Certains personnages gothiques les plus illustres accumulent même ces délicieux traits de caractère, le lecteur se retrouvant parfois confronté à un prêtre italien dévoyé, ancien comte déchu et assassin multirécidiviste ... (Si vous avez lu ou lisez un jour le très addictif L'Italien ou le Confessionnal des Pénitents noirs d'Ann Radcliffe, vous apprécierez ce charmant personnage, c'est certain :) ). Evidemment, tout cela ne serait rien sans un château lugubre, un manoir plongé dans la brume, un monastère muni de délicieuses catacombes ou un très sympathique asile d'aliénés, en bref, n'importe quel cloaque dans lequel l'héroïne finira immanquablement par faire un petit séjour histoire de s'y refaire une santé, donnant ainsi l'occasion à un preux chevalier de passage de l'en délivrer après moult péripéties. Ce dernier étant la plupart du temps totalement falot et transparent... Mais revenons-en à La Dame en Blanc, roman combinant les aspects les plus romanesques de ces inspirations littéraires, avec un degré d'intrigues nettement plus soigné que ses prédécesseurs. 

Olivia Vinall (Anne Catherick / Laura Fairlie)

La Dame en Blanc a été l'un des premiers Wilkie Collins qu'il m'ait été donné de lire, et mon roman préféré de l'auteur, sans doute parce qu'il est construit avec beaucoup de finesse et que le récit est particulièrement addictif. Une fois commencé, vous ne le lâcherez pas, c'est certain. L'intrigue vous tiendra en haleine pendant des heures, sans compter l'aspect très en demie-teinte des antagonistes  masculins, Sir Percival Glyde et le Comte Fosco (interprétés dans l'adaptation de la BBC par Dougray Scott et Riccardo Scarmacio), qui plairont aux amateurs d'anti-héros byroniens. Si les Gothiques donnaient plutôt à voir aux lecteurs des personnages monocordes, Wilkie Collins a, dans toute son oeuvre, repris leurs codes en prenant soin de les nuancer de façon très heureuse. Un personnage noir ne peut décidément pas l'être en permanence, ni de manière si violente, sans avoir un schéma narratif puissant qui puisse le rendre accessible ou du moins, compréhensible. Celui-ci, malgré ses actions mauvaises, aura toujours des failles, des faiblesses, des manquements, qui parviendront à le rendre cohérent. Les Gothiques pèchent clairement par l'aspect très hermétique de leurs antagonistes, qui vivent et agissent dans l'excès. Si les personnages de Wilkie Collins se nourrissent de ces paroxysmes, il les atténue volontiers en mettant en exergue leurs déficiences. Et c'est ce qui fait bien entendu tout leur intérêt.

Les vilains jojos prennent la pose : Le comte Fosco (Riccardo Scarmacio)
et Sir Percival Glyde (Dougray Scott)

Les personnages féminins ne sont également pas en reste, car Marian Halcombe (campée dans l'adaptation par Jessie Buckley), la demi-soeur de Laura (Olivia Vinall), jouant le rôle de la frêle et innocente brebis jetée en pâture à un horrible moustachu, est un caractère magnifiquement brossé de femme forte, intelligente, et impétueuse qui revendique fièrement sa liberté et son célibat, quitte à heurter quelque peu son entourage. Elle porte des pantalons, monte à cheval comme un homme, parle fort, et envoie valser joyeusement les codes de son époque. Cet aspect est sans doute un tant soit peu rehaussé dans cette adaptation de la BBC par rapport au roman, où le personnage reste néanmoins très en avance sur son temps. C'est évidemment cet aspect qui à la fois rebute les hommes qui la côtoient, mais suscite l'intérêt du Comte Fosco. 

Jessie Buckley : magnifique Marian Halcombe

Dans l'oeuvre de Wilkie Collins, ce dernier est un homme obèse, friand de pâtisseries et de bons mots, parfait gentleman, qui semble relativement inoffensif, et qui même tempère les humeurs orageuses de son ami Glyde, l'époux exigeant et manipulateur de Laura, qui se pose comme le parfait salaud de ce roman retors. Sans trop en révéler sur la trame, Glyde n'est en réalité que le pantin de Fosco, qui tire dans l'ombre les ficelles d'un abominable complot visant à s'approprier la fortune de Laura. Si Percival Glyde à la lecture apparaît vite comme assez détestable, la mini-série est parvenue à lui donner quelques scrupules, et un peu de profondeur. La prestation de Dougray Scott, (méconnaissable sous cette affreuse moustache qui m'a beaucoup choquée, vous l'aurez compris :p ), n'y est sans doute pas étrangère, le rendant sous doute un peu moins "bête et méchant"... Il n'en demeure pas moins très inquiétant, car il est le premier personnage à se présenter clairement comme une menace pour Laura et Walter Hartright, campé par Ben Hardy. Ce dernier, moucheron que Glyde écrase de son arrogance, demeure, malgré sa bonté d'âme, un personnage assez insipide... C'est le plus grand défaut de ces personnages romantiques, trop gentils, trop lisses, trop parfaits, qui ne feront jamais le poids face au magnétisme de leurs antagonistes dans l'esprit du lecteur (voyez Raoul de Chagny dans le Fantôme de l'Opéra, par exemple). Quoiqu'ils en viennent toujours à bout, malgré tout, après maintes difficultés, car la justice et le bon droit finissent toujours par triompher... :) 

Walter Hartright (Ben Hardy)
Dans le cas présent, l'obstacle réel, au-delà de Glyde, est bien entendu Fosco, ce comte italien au passé nébuleux, qui semble ravi d'avoir face à lui non pas une Laura ni un Walter effacés, mais une Marian Halcombe passionnée et revendicatrice, qui lui tient merveilleusement tête, et qui parvient à mettre en échec ses manoeuvres. Il s'en amuse même dans les premiers temps... Dans le roman, Fosco, tout comme dans la présente version, qui soyons honnêtes, est nettement plus troublant que le personnage visualisé à la lecture, tombe même éperdument amoureux d'elle, ce qui ne l'empêche pas, au contraire, de pousser les deux soeurs vers l'abîme. Il se nourrit même de cette opposition farouche, qui devient un véritable jeu funeste. D'autant que dans la mini-série, les sentiments de Marian à son égard sont bien plus ambigus que dans l'oeuvre de Collins. 


Fosco joue sur la corde sensible de Marian : il comprend son besoin vital d'indépendance, et se propose même de le lui offrir. Si elle faiblit un instant, elle reprend très vite ses esprits, car elle devient alors rapidement, sans le vouloir ouvertement, la faiblesse de Fosco, le grain de sable dans ses horribles machinations. La scénariste a très bien exploité cet aspect, et a donné à voir quelques scènes savoureuses, qui s'essoufflent malheureusement dans les deux derniers épisodes. Mais disons-le, Riccardo Scarmacio, a littéralement magnifié ce personnage insaisissable et abject. 


Soulignons également la présence de Charles Dance, dans le rôle de l'oncle Fairlie, qui offre, malgré son peu d'apparitions à l'écran, une interprétation précieuse de ce personnage caricatural.

Ajoutons que l'adaptation bénéficie d'une image splendide et d'une ambiance magnifique, nimbée d'ombres et de brouillard... Une adaptation à ne manquer sous aucun prétexte !

Du reste, il ne s'agit pas de la seule adaptation du roman disponible, il existe également un film américain de 1948, une adaptation télévisée de 1982, produite par la même BBC ainsi qu'une adaptation télévisée de 1997, produite par ITV. Notons qu'il y a encore une adaptation télévisée, française celle-là, en 12 épisodes, avec le talentueux François Chaumette dans le rôle d'un Fosco délicieusement ambigu... Cette autre merveille est disponible au téléchargement, pour un prix tout à fait raisonnable, sur le site de l'INA. Avis aux amateurs... 



6 commentaires:

  1. Je n'ai jamais lu la Dame en blanc, même si j'en connais l'histoire un peu près globale. J'avais vu que cette adaptation se préparait, mais ta critique donne irrémédiablement envie de la regarder dès que possible, tant l'intrigue ruisselle des personnages ambigus et subtils, tourments et autres scènes du genre gothique qu'on aime tant. Tu m'as bien fait rire d'ailleurs avec la liste des clichés du genre gothique, tant pour les antagonistes, que les personnages féminins ou la description des lieux...un endroit glauque où l'héroïne ne manquera pas de se faire une santé, ahaha...tu pourrais en faire une parodie !!

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  2. Coucou !

    Je suis ravie que mon petit descriptif des personnages gothiques t'ait plu ! Je me suis bien amusée en l'écrivant : les personnages et les situations sont tellement excessifs qu'ils seraient extraordinaires en parodie, tu as raison !

    Je suis certaine que la Dame en Blanc te plairait, et cette adaptation en particulier : ce comte Fosco a tout pour susciter ton intérêt :) Quand j'ai lu le roman pour la première fois, j'ai trouvé que l'auteur avait un peu manqué le coche pour que Fosco soit complètement réussi, il lui manquait quelque chose : la volonté de Wilkie Collins de le faire paraître inoffensif en lui prêtant certains traits et certains défauts, éclipse un peu la menace qu'il représente. Chose que la plupart des adaptations ont corrigé, et surtout celle-ci. Riccardo Scarmaccio est juste parfait dans le rôle : parfait gentleman, d'une intelligence redoutable, et tempérant les humeurs massacrantes de Glyde, il se positionne tour à tour comme un appui de Marian, puis comme son pire antagoniste... Ce sont ces revirements qui sont déroutants, mais passionnants... C'est un personnage excessivement manipulateur, mais avec de très jolies nuances... !

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  3. Les personnages gothiques se prêtent effectivement bien à la parodie, d'ailleurs, c'est peut-être pour ça qu'ils ont du mal à être aussi bien représentés lors des adaptations. On leur enlève souvent trop les nuances ou les extrêmes des caractères qui les rendent passionnants, quitte à les effacer, ou à en faire des méchants manichéens. Chose heureusement rattrapée dans cette adaptation ! J'ai emprunté le roman, je ne m'attendais pas au pavé, mais j'essayerai de le lire avant de voir l'adaptation. En tout cas Scarmaccio fait rêver au niveau de la construction de son personnages et des volte-face de son caractère, tel que tu le décris !

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  4. Fosco, mon amour ! Personnellement je ne suis pas sûr d'adhérer à une adaptation qui rendrait le personnage plus séduisant (ne l'est-il pas déjà ? Ce dernier tête à tête avec Marian m'a toujours bouleversé). Cependant cette mini-série, vu ce que tu en dis, semble de loin être la meilleure transposition à l'écran du roman et je suis bien parti pour tenter le coup, La Dame en Blanc étant une de mes lectures favorites. Il existe aussi une adaptation intitulée Crime at the Dark House (1940) qui simplifie à l’extrême l'intrigue du roman et que j'aime assez pour son côté théâtre macabre victorien, même si elle souffre d'une monumentale erreur de casting : l'imposant Tod Slaughter y interprète Percival Glyde, alors que sa stature et sa diction le destinait à un Fosco parfait.

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  5. Mon cher Gabriel ! Je m'attendais bien à ce que tu admires ce genre de personnage ! Je suis assez d'accord avec toi : l'adaptation a su très bien magnifié le personnage sans le dénaturer pour autant. Je suis curieuse de connaître ton avis dès que tu l'auras visionnée. Pour ma part, j'étais un peu passée à côté de Fosco à la première lecture, et je m'étais plutôt concentrée sur Glyde, qui est un peu tonitruant et écrasant par rapport aux humeurs très tempérées de Fosco. C'est l'adaptation française (en 12 épisodes je crois), qui m'a fait changé d'avis, grâce à la prestation magistrale de François Chaumette dans le rôle, que je te conseille d'ailleurs si tu ne l'as pas encore vue. Je note le titre de Crime at the Dark House, que je ne connaissais pas du tout ! A bientôt ! :)

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  6. @Lorinda : oui, ce Fosco fait vraiment rêver (enfin, on s'entend :p) ! Le personnage est très bien construit, d'ailleurs à plusieurs reprises lors du visionnage, je me disais, quand je comparais l'adaptation au roman : "Vous en aviez rêvé à la lecture ? La BBC l'a fait !!!". Dans la relation de répulsion/attraction de Marian et Fosco, on peut dire qu'ils ont fait ça très bien... Quitte à en rajouter peut-être un peu. Mais je suis certaine que tu vas aimer le roman, je suis donc curieuse de connaître ton avis ! :)

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