27 septembre 2025

The Sign of the Cross, de Cecil B. DeMille (1932)

Film historique pre-code de Cecil B. DeMille - 1932

Paramount Pictures

Avec Claudette Colbert, Charles Laughton, Fredric March, Elissa Landi...

D'après la pièce éponyme de Wilson Barrett.

Accusés d'avoir initié le grand incendie qui a ravagé Rome, les Chrétiens sont arrêtés et persécutés sous l'ordre de Néron. Mercia, une jeune femme de la plèbe, est accusée - à raison - avec ses amis, de faire partie de cette secte de réprouvés et de marginaux. Elle ne doit son salut qu'à l'intervention du préfet de Rome, Marcus Superbus, qui commence à la poursuivre de ses assiduités...

***

Mon exploration de la filmographie de Fredric March continue avec ce péplum iconique de Cecil B. DeMille. Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir une parenté assez troublante entre The Sign of the Cross et le Quo Vadis de Henryk Sienkiewicz... La ressemblance est si frappante que j'ai cru pendant un long moment qu'il s'agissait d'une adaptation de ce formidable roman. La trame, le cadre, jusqu'aux noms de certains personnages : tout porte en effet à le croire. The Sign of the Cross est en réalité une pièce du britannique Wilson Barrett, sortie pratiquement en même temps que Quo Vadis. On ne s'explique pas très bien pourquoi deux oeuvres si similaires ont émergées à quelques mois d'intervalle, l'une valant à son auteur polonais le prestigieux prix Nobel, l'autre remportant un immense succès sur les scènes américaines et londoniennes. Tombée dans l'oubli depuis près de cent ans, cette dernière comporte néanmoins des différences majeures : même si le film et la pièce dépeignent le même contexte général, l'histoire d'amour entre un officier romain un peu brut de décoffrage et une jeune chrétienne d'abord effrayée par ses intentions, demeure, mais avec nettement moins de nuances. J'ai souvenir que le Marcus Vinicius de Quo Vadis, d'abord détestable parce qu'il n'est finalement qu'un pur produit de l'empire romain dans ce qu'il a de plus abject, finit par s'amender pour endosser la véritable stature de héros. Dans The Sign of the Cross, la "transformation" de Marcus Superbus arrive, mais très (trop) tardivement, et la tragédie n'en est que plus inéluctable. La morale chrétienne est donc toute centrée sur l'acceptation du sacrifice, tandis que Quo Vadis dépeint la rédemption et la possibilité d'une transmutation. Les sentiments que ce film inspire sont donc relativement différents. Là où le roman de Sienkiewicz brille par la pureté de ses intentions, la pièce de  Barrett s'enfonce toujours plus profondément dans la noirceur. Dans ce cas, pour nos héros, il n'y aura pas de d'échappatoire au drame qui se joue. 

Fredric March (Marcus Superbus) et Elissa Landi (Mercia)
=

L'aspect "pre-code" du film donne lui aussi le ton. Production à grand budget, dirigée par un habitué du genre, on n'a pas lésiné sur les moyens, ni sur le "choc" des images. Les scènes dépeignant les jeux du cirque sont terrifiantes et mettent toujours mal à l'aise, plus de quatre-vingt dix ans après leur réalisation. L'une des scènes iconiques de ce film est les fameuses ablutions de Poppée, campée par une Claudette Colbert en mode "vamp", et immergé (ou si peu) dans un véritable gigantesque bain de lait de vache... 

Charles Laughton (Néron), Claudette Colbert (Poppée) et Fredric March 


Ce genre de scène, tout comme celle de l'orgie qui se tient chez Marcus, et qui laisse une Mercia littéralement terrifiée (il existe d'ailleurs une scène en tout point similaire dans le roman de Sienkiewicz), instaure un climat lascif et poisseux, qui ont, à l'époque, visiblement défrayé la chronique, et qui donnent ce ton si avant-gardiste à l'ensemble. Outre Claude Colbert, campant un véritable femme-serpent, on y retrouve d'autres grands noms de l'époque comme celui de Charles Laughton, interprétant un Néron indolent et influençable, fantasque et enfantin, qui cadre assez bien avec le personnage véhiculé par l'inconscient collectif. Reste également Fredric March, qui pour une fois - il faut bien être honnête - m'a laissée complètement de glace. Peut-être est-ce le côté tapageur du personnage, ses poses de bellâtre qui m'ont portée sur les nerfs, et qui - à mon humble avis, ne lui allaient pas du tout. March était un habitué des incarnations sombres et torturées, dans lesquelles il excellait, et même dans certaines comédies où il campait volontiers d'abominables salauds... Ce ne sera vraiment pas ce film que je retiendrai dans sa filmographie relativement foisonnante. 

Reste néanmoins que ce film demeure une curiosité à l'esthétisme irréprochable, au propos subversif et au contenu pour le moins curieux. 



25 septembre 2025

Les lectures de l'été (1ère partie)

 Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson

Sur les chemins noirs est mon premier roman de Sylvain Tesson. Je ne connaissais rien ou presque de l'écrivain, si ce n'est qu'il était l'auteur de nombreux récits de voyages.

Ce court roman retrace en effet l'histoire d'un périple à pieds à travers la France, par "les chemins noirs", ces sentiers si peu balisés, éloignés des grands axes, mais également l'histoire d'une reconstruction suite à un accident qui a failli lui coûter la vie. C'est l'occasion pour l'écrivain de poser un regard désolé sur la France rurale d'aujourd'hui, sur la faillite d'un mode de vie, et sur les questionnements d'une société malade, presque en bout de course.

Je ne m'attendais vraiment pas à être sensible à ce récit si fin, si profond et si beau. Tantôt acide dans sa philosophie, tantôt d'une géniale poésie, il navigue entre les genres mais touche en plein coeur. Sa grâce, son style incisif et sa réflexion sans ambages, me font classer son auteur certainement parmi les très rares grandes plumes d'aujourd'hui. 

Il est à noter qu'une adaptation en a été tirée en 2023, réalisée par Denis Imbert, avec Jean Dujardin dans le rôle principal. Cependant, celle-ci est malheureusement très loin d'égaler le roman. Comment en effet retranscrire à l'image les cheminements et les circonvolutions intérieurs d'un voyage qui se passe avant tout au dedans de soi ? Le film passe malheureusement un peu à côté de son sujet aussi, à cause de sa manifeste frilosité à traiter les sujets de société évoqués dans le roman. On perd donc une bonne partie de l'intérêt initial des idées développées par Sylvain Tesson.


  





Avec les Fées, de Sylvain Tesson

Quand je disais que j'avais eu un réel coup de coeur pour l'auteur, ce n'était pas une simple formule... "Avec les fées" a donc suivi. Récit retraçant un voyage en voilier sur les côtes celtiques, depuis la Galice jusqu'à l'Ecosse, ce roman est une ode à la recherche du merveilleux qui se niche parfois au creux des falaises de basalte, ou sur les reflets que le soleil diffuse timidement sur les flots gris de la mer d'Irlande. On y retrouve le style si inimitable de l'auteur, avec ses phrases qui cinglent, comme des sursauts de réflexion arrachés au vent, cette mélancolie, cette capacité à retranscrire le beau du moindre affleurement de roche, où parfois se glissent quelques réflexions plutôt bien senties, inattendues et parfois pleines d'humour. On sent dans chaque ligne, dans chaque mot choisi, une admiration, un respect infini des choses vues et des gens rencontrés. C'est un roman beau et fascinant, qui se déroule aussi aisément qu'il ne se lit. 

Avec les fées inaugure également le roman sorti cette année "Les piliers de la mer", ode aux stacks des côtes du monde, d'ores et déjà en cours de lecture...

Eugène Onéguine, d'Alexandre Pouchkine

Cela fait près de dix ans que je n'avais lu ce roman en vers d'Alexandre Pouchkine, ni même sorti de la bibliothèque. Un peu de lecture de classique fait toujours tant de bien !

A vrai dire, je n'avais guère gardé de souvenirs de ma première lecture, sinon l'aversion profonde que m'avait inspiré le personnage principal... Cet être sans consistance, méchant et égoïste au dernier degré, qui baille et s'ennuie de tout, et qui entraîne tous ceux qui se prennent à l'aimer vers une tragédie certaine. 

Il reste qu'il s'agit là d'une très grande histoire russe, avec tous les ingrédients essentiels au drame : une histoire d'amour à sens unique, un anti-héros byronien, et un duel au pistolet sur fond de paysages enneigés. 

Malheureusement, demeure encore et toujours ce ressentiment incontournable pour le fameux Eugène Onéguine, méprisant et méprisable, d'où aucune étincelle ne jaillira jamais.

13 juin 2025

La playlist du moment (juin 2025)

Voilà bien longtemps que je n'ai pas pris le temps de rédiger un petit billet de blog... Me revoici donc, avec un petit point sur les musiques qui tournent en ce moment en boucle dans ma playlist. 

"Mutter", Rammstein

Cela fait quelques années maintenant que j'apprécie particulièrement Rammstein, dont je découvre ou redécouvre certains morceaux... "Mutter" figure en bonne place dans la playlist de l'été. On y retrouve la patte inimitable de Rammstein : des sonorités uniques, efficaces, terribles et poignantes. Un must. 


"House of affection", Tobias Forge 

Il y a 15 ans, Tobias Forge, le leader du désormais très connu groupe Ghost, a produit un album solo intitulé "Passiflora", comportant dix morceaux pop/folk particulièrement mélancoliques. Si l'artiste renie quelque peu cet album  douloureux aux sonorités annonçant pourtant les meilleurs morceaux de Ghost, il comporte son lot de pépites, parmi lesquelles on retrouve notamment "House of affection", dont je ne me lasse pas... 



"In my blood", Joel Smallbone ("Journey to Bethleem") 

Je suis tombée par hasard sur ce morceau, issu du film musical "Journey to Bethleem", qui est un petit film bien agréable à regarder... Sans être parfait, ni toujours très respectueux des faits historiques, il retrace la fuite des parents d'un fameux prophète né à Bethleem, durant les évènements préfigurant le Massacre des Innocents, ordonné par le roi Hérode le Grand. 
L'un des personnages centraux du film est le fils aîné du roi de Judée, Antipater (souvent confondu à tort avec Hérode Antipas, fils d'un autre mariage), chargé par lui de retrouver l'enfant annoncé par une prophétie et de s'en débarrasser. Partagé entre le devoir de satisfaire les souhaits d'un père tout-puissant qu'il craint, ses propres aspirations et les nombreux tourments intérieurs qui en résultent, Antipater fait presque figure d'anti-héros shakespearien. Lorsque l'on sait que ce personnage intelligent et ambitieux, finissant par faire de l'ombre à ce père terrifiant et écrasant (campé dans le film par Antonio Banderas), a fini exécuté par lui, l'histoire racontée prend tout son sens... Ce personnage très en demi-teinte intrigue et a attiré mon oeil d'adoratrice de ces personnages situés en "zone grise"... La chanson "In my blood" est en ce sens très représentative de ses questionnements.  



"Mr Bad Guy", Freddie Mercury

Si on connaît bien la musique de Queen, on connaît nettement moins celle produite par Freddie Mercury lors de sa période "berlinoise" alors qu'il entamait une carrière solo. Mr Bad Guy est l'un des morceaux emblématiques de cette époque, qui reste merveilleusement dans l'oreille, avec son orchestration vraiment inimitable... 


"Hey, Little Songbird", patrick paige ("Hadestown")

Cela fait des années que j'entends parler de la comédie musicale "Hadestown" d'Anaïs Mitchell, variation moderne "post-apocalyptique" du mythe d'Orphée et Eurydice. On en connaît volontiers l'une des chansons les plus emblématiques "Way down Hadestown", mais beaucoup moins celle-ci, que ma filleule adorée m'a fait découvrir il y a quelques temps, et qui tourne en boucle dans ma playlist depuis ! On y retrouve le fameux Patrick Paige (le même Patrick Paige du Frollo de l'adaptation scénique du Bossu de Notre-Dame) avec sa voix de basse unique... On ne se lasse pas du contraste entre le registre de son Hadès plutôt sépulcral, et celui, lumineux et aérien d'Eurydice... 


De nouveaux articles bientôt ! 

15 août 2024

L'Ensorcelée, de Jules Barbey d'Aurevilly

 




A l'aube du XIXe siècle, Jeanne de Feuardent, flamboyante jeune femme issue d'une lignée aristocratique désargentée, devient l'épouse d'un riche fermier du Cotentin. Alors que résonne encore le glas de la Révolution, un étrange prêtre fait son apparition à l'église de Blanchelande, enveloppé d'un large froc et d'un capuchon noirs. Lorsque Jeanne découvre le visage atrocement défiguré qu'il dissimule, elle demeure stupéfaite. Bientôt, de folles rumeurs courent dans le pays au sujet de cet abbé, qui parcourt la lande à cheval en terrifiant les paroissiens. Autrefois engagé dans la Chouannerie, l'abbé de la Croix-Jugan a été torturé par des "Bleus" lors de la Révolution, après avoir tenté de se suicider. Revenu sur ses terres, à la veille de la levée de sa suspense, l'abbé n'en a pas pourtant pas fini de se battre pour le rétablissement de la monarchie, quitte à entraîner à sa suite la téméraire Jeanne, qui ne sera bientôt plus que l'ombre d'elle-même...

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J'ai lu ce livre il y a plusieurs années, et le moins que l'on puisse dire est qu'il m'avait beaucoup marquée. La prose splendide de Barbey, les descriptions remarquables de sa Normandie natale, ainsi que le contexte dramatique et épique de l'oeuvre me l'avaient fait immédiatement adoré. Le nom de Jéhoël de la Croix-Jugan, et son improbable passif de Chouans, étaient restés gravés dans ma mémoire, tout comme son caractère tout à fait insaisissable et dramatique. L'Ensorcelée a persisté à faire figure de conte fantastico-gothique depuis lors dans mon esprit, puisqu'il s'inspire d'une légende, voire peut-être d'une histoire partiellement véridique liée à Blanchelande. Il existe en effet une croyance populaire liée à cette abbaye, dont on entend sonner les cloches en pleine nuit, tandis que la silhouette d'un prêtre maudit et de son cheval semblent errer quelques fois dans la lande qui la cerne... 
On peut dire que la légende, tout comme le personnage, ne sont pas banals, et Barbey en a su tirer le meilleur parti.

Pourquoi donc faire un article maintenant, plus de vingt ans après ma première lecture ? Simplement parce que j'ai appris tout récemment que ce roman avait fait l'objet d'une adaptation en 1981, que mon récent abonnement au magnifique site de streaming de l'INA (http://madelen.ina.fr) m'a permis de voir. 
Adaptation qui est, à ma connaissance, la seule jamais réalisée du roman de Barbey d'Aurevilly.

Produit par Antenne 2 et réalisée par Jean Prat, ce téléfilm rassemble au casting Julie Philippe (Jeanne de Feuardent), Jean-Luc Boutté (l'abbé de la Croix-Jugan), Fernand Berset (Maître Le Hardouay), Elisabeth Kaza (la Clotte), Jacques Ebner (Le Curé), ...

Source : https://ca.notrecinema.com/

Le fait est que cette adaptation est pour le moins fidèle à la trame générale du roman, mais qu'elle pêche par un manque relativement visible de moyens, assez caractéristique des téléfilms produits à cette époque. Lors du visionnage, j'ai pensé à de très nombreuses reprises aux adaptations littéraires de la BBC de ces mêmes décennies, qui souffrent de manière générale des mêmes défauts (lumière chiche, pauvreté des décors, des maquillages...), mais qui valent le détour pour l'excellence de leurs interprétations, de leur scénario et de leurs dialogues. L'Ensorcelée ne déroge pas à cette règle. Si la réalisation manque parfois un peu de panache, elle n'en demeure pas moins pleine d'inventivité, et met en scène des acteurs inconnus ou presque, mais pour le moins excellents. 



J'ai retrouvé dans cette adaptation télévisée de l'Ensorcelée les sentiments exacts ressentis à la lecture : en dépit du peu de sympathie que l'on éprouve pour le personnage de Jeanne, intraitable, méprisant et fier, qui se damne au sens littéral du terme pour un prêtre tout droit sorti d'un conte gothique, on reste tout de même comme hypnotisé par cette histoire à demi fantasmée. Le personnage de Jéhoël de la Croix-Jugan, monstre d'égoïsme (et monstre tout court, si j'ose dire), qui n'a pour toutes préoccupations que la cause monarchiste, a quelque chose de diablement fascinant et romanesque. Le charisme de cet extraordinaire abbé absorbe, écrase, annihile celui des autres personnages. Toute l'attention de Barbey et celle de cette adaptation, se concentrent sur les apparitions presque fantomatiques, comme sorties d'un rêve, de ce prêtre qui parcourt la lande à dos d'un cheval lancé au grand galop. 




Cependant, il y a des ratés dans cette adaptation, outre les défauts mentionnés plus haut. Il y a un certain manque de cohérence et de transition dans cette histoire qui ne parvient jamais à aller totalement au bout de son idée. Il y a un sentiment d'inachevé, comme de balbutiements dramatiques parfois, qui suscitent une très désagréable frustration. Au fond, tout est baigné d'un tel onirisme, de telles invraisemblances, qu'on demeure complètement sur sa faim. Et on passera sur le maquillage grossier dont est affublé le pourtant diablement charismatique Jean-Luc Boutté, dont les cicatrices se résument à un très vilain masque rigide, qui a tout d'un déguisement de carnaval en carton-pâte. Cela manque un peu de qualité et de finesse, et ôte un peu du magnétisme originel de la Croix-Jugan. 


Source : https://ca.notrecinema.com/

Cependant, il est clair que malgré de gros défauts, cette adaptation a quelque chose de fascinant, dans le sens gothique du terme, avec ses bons et ses mauvais côtés. Sans doute le roman y est-il un peu pour quelque chose, puisqu'un sentiment d'inachevé plane également sur les dernières lignes de ce récit crépusculaire. Mais n'est-ce pas le propre de toutes les oeuvres gothiques ?

L'un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir vu adapter la scène emblématique du roman au cours de laquelle l'abbé remonte la nef de l'église de Blanchelande au son des éperons de ses bottes, résonnant sur le pavé... Cette scène démontrait à elle seule le caractère sauvage de ce personnage peu commun. 

Restent des interprètes excellents, Julie Philippe en tête, qui a su camper ce personnage de femme résolument moderne, enflammé et fier, mais si prompt à se damner.    


(Attention, il s'agit d'un visionnage payant)         







28 mai 2024

The Eagle & the Hawk (1933)


Réalisation : Stuart Walker
Production : Paramount Pictures
Avec : Fredric March, Cary Grant, Carole Lombard, Jack Oakie, Sir Guy Standing, ...
D'après l'autobiographie de John Monk Saunders, "Death in the Morning".

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Autant être claire immédiatement : je déteste les films de guerre, mais j'adore Fredric March. Je pense que les derniers articles publiés sur ce blog l'ont un peu montré... Je suis tombée sur cet acteur charmant, au jeu très actuel et aux choix de rôles compliqués, à la faveur du visionnage de "A star is born" de 1937, où il campe le tout premier Norman Maine de l'histoire du 7e art... (ont suivi, pour rappel, James Mason, Kris Kristofferson et enfin Bradley Cooper, pour la version la plus récente). Ce film magnifique, à la fois tendre et extraordinairement triste, m'a poussée à m'intéresser à ce très grand acteur, tombé dans l'oubli ou pratiquement, malgré une filmographie tout à fait foisonnante, qui comporte autant de comédies que de drames, ainsi que quelques très grands classiques du cinéma (Dr Jekyll & Mr Hyde, Sérénade à trois, Les Misérables, Anna Karenine, Le Signe de la Croix, ... ).

source : fredricmarch.tumblr.com

C'est cependant avec un peu d'appréhension tout de même que j'ai visionné "The Eagle and the Hawk", réalisé en 1933. Etant donnée la décennie dans laquelle a été produite ce film, j'étais certaine d'échapper à ces horribles oeuvres de propagande produites au début des années 40, qui ont un parfum pour le moins désagréable, pour ne pas dire totalement nauséabond... Nous sommes heureusement loin de ce contexte, sinon je crois que je n'aurais même pas persisté au-delà des cinq premières minutes. Mais honnêtement, je ne savais pas trop à quoi m'attendre.

Il faut savoir que le film, cependant, a été tourné en pleine période "pré-code" - décennie la plus emblématique et la plus productive pour March -, et qu'il s'agit là d'un indicateur assez rassurant concernant la liberté de ton. Mais je le regardais simplement pour avoir le plaisir de savourer la présence de deux de mes acteurs favoris, dont ledit Fredric March et également de Cary Grant dans un même film...

source : fredricmarch.tumblr.com


L'histoire, en quelques mots, retrace celle d'un aviateur américain virtuose, le lieutenant Jerry Young (March), durant la 1ère guerre mondiale, et de sa rivalité avec le lieutenant Henry Crocker, mauvais pilote, mais excellent tireur. Elevé au statut de véritable héros de guerre, Young ne supporte cependant pas d'être montré en exemple aux plus jeunes, car ce statut se bâtit peu à peu sur la mort de tous ses coéquipiers, et celle de soldats ennemis qu'il doit abattre de manière aveugle. L'avalanche de morts qu'il voit, et dont il est responsable, le tue à petit feu. Son équipier fusillier, Crocker (Grant), avec qui il ne s'entend pourtant pas, assiste, impuissant à cette lente déchéance à laquelle personne ne peut le soustraire. Traumatisé par ses dernières missions, par des chocs successifs qu'il ne peut plus supporter, Young s'enfonce progressivement dans l'alcoolisme...

source : pre-code.com



En définitive, ce film n'est pas un film de guerre, enfin pas vraiment. Il ne parle que des traumas qu'elle induit, jusque dans leurs pires extrémités. Le personnage campé par Fredric March est un type bien, porté d'abord aux nues grâce à sa virtuosité aux commandes d'un avion, puis confronté au fil du temps à la brutale réalité de la guerre, qui broie tout et tout le monde. Et pour qui, pour quoi ? Ce sont toutes les questions que pose ce film superbe, aux images extraordinaires, aux descriptions psychologiques magnifiques, mais d'une abominable tristesse. C'est une oeuvre dure, parce qu'elle présente la réalité sous une lumière crue, loin des poncifs patriotiques.
La déchéance du personnage de Jerry Young, très attachant dans ses scrupules et son humanité, est inéluctable, et même si on a de temps à autre un regain d'espoir, on sent que l'on court à la tragédie.

source : pre-code.com



Le personnage campé par Cary Grant, d'une froideur implacable, à l'opposé de celui de March, débordant d'empathie, ferait presque froid dans le dos. Les deux personnages sont trop différents pour trouver le moindre terrain d'entente. Seules leurs compétences respectives leur confèrent un unique point commun : leur compétence à bord d'un avion. En dépit de leurs différences, de leur mésentente manifeste, Crocker tente d'éloigner Young, de le sauver de lui-même et de lui éviter le drame. S'il n'y parviendra finalement pas, au moins lui évitera-t-il le déshonneur, quitte à se saborder lui aussi.

Point également très important : la magnifique mise en image, toute en contrastes francs et en ombres. Très esthétique, très soigné. Un must pour un film de cette catégorie. L'aspect très léché de la photographie lui donne une certaine noblesse, que l'on n'attendait guère dans un film de ce registre.

source : pre-code.com


Seul réel point négatif du scénario, la présence du personnage féminin, campé par Carole Lombard (dont le nom m'échappe, mais cela a réellement peu d'importance). Certes, ce personnage, qui représente un heureux échappatoire durant la permission de Jerry, aurait pu revêtir une certaine importance s'il avait été moins typé et moins caricatural. On se demande ce qu'elle fait là, maquillée comme une voiture volée et engoncée dans des robes de soirée toutes en frou-frous et en fourrure blanche : on est vraiment à côté de la plaque. Sans doute, une exigence de la production, car il est impossible d'expliquer autrement la présence de cette "femme fatale" dans ce contexte si désespéré et si dur. Elle ne sert à rien, n'apporte rien, sinon le seul moment de ridicule du film. Si encore le personnage féminin était apparu un tant soit peu réaliste, on aurait compris cette parenthèse comme une raison pour Jerry d'espérer un "après" à cette guerre qui lui paraît de plus en plus absurde. A la limite, cela aurait inspiré un fol espoir au spectateur. L'espoir qu'il y ait une conclusion heureuse. On est très rapidement fixés, cependant.

En résumé, The Eagle & the Hawk n'est pas réellement un film de guerre, mais plutôt un film profondément anti-guerre, à l'opposé total d'un film de propagande, servi par des acteurs magnifiques, Fredric March en tête, et des images à donner des frissons.

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28 avril 2024

La musique, c'est du bruit qui pense (extraits de la playlist de printemps)

De nerfs et de bosses (Guilhem Valayé)


Je ne connaissais pas Guilhem Valayé avant d'écouter l'album du spectacle "Les Souliers Rouges", de Marc Lavoine et Fabrice Aboulker. Il y campe un personnage à la ténébreuse aura, Victor, le chorégraphe d'un ballet maudit, dont les motivations oscillent entre celles du Dr Faust, du Fantôme de l'Opéra ou encore de Claude Frollo... Je reviendrai sur le sujet à l'occasion, parce que c'est une pépite au rayon des personnages contestables et ambigus (voir un peu plus bas). J'ai surtout découvert par le biais de ce spectacle un magnifique compositeur, poète et interprète, et son premier EP solo, intitulé "Aubrac" sorti en 2022. Un véritable écrin de douceur, une immense bouffée de tendresse que cet album, dont tous les titres sont des véritables bijoux. J'aurais pu placer l'album entier dans cette playlist, mais j'ai opté pour "De nerfs et de bosses", assez révélateur du style unique de Guilhem Valayé. Des solos guitare-voix, et des textes à fleur de peau. Des mots et des rythmes qui font du bien au coeur et à l'âme... 

Sunset Boulevard (Tom Francis - A.L. Webber)



Sunset Boulevard est une comédie musicale bien connue d'Andrew Lloyd Webber, sortie en 1993, issue du film multi-oscarisé du même nom de 1950, réalisée par Billy Wilder. L'histoire retrace les destins croisés de Joe Gillis, un scénariste raté et opportuniste, et de Norma Desmond, une ancienne star du cinéma muet qui ne fait que rêver de sa gloire passée. A l'occasion de la cérémonie des derniers Olivier Awards au Royal Albert Hall de Londres, Tom Francis, l'interprète de Joe Gillis de cette nouvelle version, a délivré une performance extraordinaire du titre phare, intitulé sobrement "Sunset Boulevard". Une interprétation qui m'a laissée sans voix et que je revisionne volontiers en boucle... 

L'aérogramme de Los Angeles (Louis Garrel et Woodkid - cover d'Yves Simon)


J'ignorais que Louis Garrel s'était essayé à la chanson quand je suis tombée par hasard sur cette cover épique d'un titre d' Yves Simon, réinventé par le génial Woodkid. L'orchestration, l'harmonie des voix, tout y est atypique, mais c'est diablement beau et cela se passe complètement de commentaires.

Look at us now (Honeycomb) - Daisy Jones & The Six 


Tout a commencé avec le roman d'Evelyn Hugo, "Daisy Jones & The Six", récit à plusieurs voix retraçant le succès fulgurant d'un groupe de rock fictif "Daisy Jones & The Six", de leurs excès et de leurs addictions, mais surtout de la grande histoire d'amour contrariée des deux principaux protagonistes. Une véritable pépite dont je dois la découverte à mon extraordinaire filleule... Largement inspirée de la véritable histoire de Fleetwood Mac, le roman a été superbement adapté en série sur Amazon Prime. Pour quiconque aime la musique et les belles histoires (même si elle est un peu trash sur les bords, je vous l'accorde), elle vaut aussi le détour pour sa BO à tomber par terre, à laquelle les deux acteurs principaux, Sam Claflin et Riley Keough ont prêté leurs voix magnifiques. 

I need to know (Jekyll & Hyde, the musical) 


J'ai déjà parlé il y a quelques années de la comédie musicale de Frank Wildhorn, Jekyll & Hyde, par ici.
Comme souvent, les comédies musicales sont modifiées, adaptées, améliorées, au fil du temps par leurs auteurs et Jekyll & Hyde n'a pas échappé à la règle. En 1994, une nouvelle version a été enregistrée avec le sublime Anthony Warlow. Cette chanson qui ne figurait pas sur la première version du spectacle, I need to know, qui suit l'ouverture, pose très bien et très justement le personnage de Jekyll... Il y a un soupçon du Dr Frankenstein dans cette version très honnête et très brute de Jekyll, dans cette volonté farouche et déraisonnée à jouer avec le feu, très proche de l'adaptation de 1931...

Réussir sa vie (Les Souliers Rouges) - Céleste Hauser



Comme je l'évoquais plus haut, j'ai un énorme coup de coeur pour le spectacle musical "Les Souliers Rouges", et ce depuis sa création en 2016, et surtout pour le film de 1948 dont il est plus ou moins inspiré (et dont le dernier personnage à droite en bannière de ce site est l'un des protagonistes)... La toute dernière mouture du spectacle, actuellement en fin de tournée, est une véritable merveille. On aura compris, je pense, que je suis en admiration totale des chansons du grand antagoniste, campé par Guilhem Valayé, mais aussi de celles de l'héroïne, Isabelle, interprétée par la douce Céleste Hauser. Le titre "Réussir sa vie" est un titre très beau, puisqu'il parle de la douloureuse question du choix : "Réussir sa vie ou réussir dans la vie." C'est tout le questionnement du personnage, qui est mis face à ces deux options inconciliables...

Pour lire une très belle analyse du spectacle, lire l'article sur le blog de Hauntya's room.

A suivre...