D'après la nouvelle de Karl von Wachsmann, "Der Fremde" (L'étranger), issue du recueil "Erzählungen und Novellen" (Histoires courtes et nouvelles) - 1844.
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Pris dans une tempête, le convoi du baron von Fahnenberg, s'égare dans une forêt impénétrable et sauvage de l'Est. Lorsque la voiture dans laquelle voyage la fille du baron, la romanesque Franziska, est assaillie par des loups affamés, un lugubre personnage s'interpose et parvient, d'un geste, à faire reculer la meute...
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Quelle découverte extraordinaire que ce récit d'une soixantaine de pages, écrit en 1844 par le novelliste allemand Karl Adolf von Wachsmann, sur lequel Claire a attiré mon attention il y a quelques semaines ! Rédigé trente ans avant Carmilla, de Joseph Sheridan Le Fanu (1872), et cinquante ans avant Dracula, de Bram Stoker (1897), on peut dire qu'il s'agit là d'un pur inédit, et lequel... ! La ressemblance avec le Dracula de Stoker est tellement troublante qu'on ne peut résolument nier une certaine similitude, à moins d'une formidable - et improbable - coïncidence. Ce récit, tombé dans l'oubli depuis le XIXe siècle, a fait l'objet d'une véritable mystification. Demeurant pendant longtemps introuvable, il est exhumé grâce aux éditions du Castor Astral, et plus particulièrement aux auteurs de la petite encyclopédie des vampires, Pierre Moquet et Jacques Petitin.
Dans ce manuel d'un surprenant sérieux, et qui se révèle extrêmement jubilatoire, ainsi que d'une précision et d'une richesse quasi scientifique, les deux chercheurs font en effet référence à ce récit demeuré inédit en français, qui ne fut originellement traduit en langue anglaise que durant la deuxième moitié du XIXe siècle, sous le titre "The Stranger". Il y a donc tout lieu de croire que Bram Stoker en ait eu connaissance, car la parenté est évidente avec son propre personnage. Oserais-je d'ailleurs dire qu'après avoir dévoré ce récit court, qui allie merveilleusement l'efficacité de la nouvelle et les démonstrations frénétiques et mortifères du romantisme goethéen, je me sentais débordée d'enthousiasme pour cette version en quelque sorte "primitive" du Dracula de Stoker. Le vampire de von Wachsmann, le chevalier Azzo von Klatka, possède l'aura et le formidable potentiel d'un grand personnage de roman, que la brièveté du récit n'est cependant pas parvenue à entamer. Sur 64 pages, l'auteur est parvenu à concentrer l'essentiel : après une entrée fracassante dans un bois infesté de loups, Azzo von Klatka s'interpose entre eux et la voiture qui transporte la romanesque Franziska. Les bêtes, à la seule présence de ce personnage qui semble tout droit sorti d'un autre temps, s'enfuient sans demander leur reste. S'il apparaît tout d'abord comme un secours providentiel, tout indique pourtant, dans sa manière de parler et même de se mouvoir, qu'il représente un indicible menace, qui fascine par son autorité naturelle, sa supériorité cynique. Comme Dracula, on s'aperçoit bien vite qu'au-delà du fait qu'il semble commander aux loups (à cela près qu'ici, il s'avère davantage représenter une menace pour eux que d'être leur maître), se transforme volontiers en brouillard à la nuit tombée, et ne peut entrer dans une demeure sans y avoir été invité...Il ne cherche pas à plaire, au contraire, il semble plutôt ravi de susciter chez son auditoire une certaine répulsion, ce que son apparence lugubre à elle seule, suffit par provoquer immédiatement. A vrai dire, il cherche plutôt, selon ses propres dires, à séduire une âme semblable à la sienne, ou plutôt devrait-on dire qu'il tâche d'identifier la moindre faille, le moindre ressentiment, la moindre détresse chez ses interlocuteurs, et c'est ainsi qu'il parvient à s'imposer à Franziska, jeune femme au tempérament quelque peu fantasque, qui a Franz, le fiancé que son père lui a imposé, en horreur, et qui ne rêve au fond de son âme que d'aventures et de drames extraordinaires... Azzo von Klatka s'empresse donc de s'engouffrer dans cette large brèche, que Franziska ne prend seulement pas la peine de lui dissimuler.
- "Je vous remercie, messire, mais mon estomac ne supporte absolument pas le vin", s'excusa le chevalier, avant d'ajouter avec une certaine ironie : "Pas plus qu'aucune autre boisson froide.
- Alors, je vais vous faire préparer une coupe d'hypocras ! Il ne sera pas long à préparer, dit Franziska.
- Merci, ma belle demoiselle, merci beaucoup. Si je suis dans l'obligation de refuser le breuvage que vous m'offrez pour l'instant, soyez assurée que je vous en réclamerai dès que j'en ressentirai le besoin... celui-là ou un autre.
Le cynisme du personnage porte souvent à sourire, et c'est presque avec délectation que l'on voit le chevalier vampire malmener le fiancé de Franziska, jeune homme fade et légèrement geignard, qui présente de larges ressemblances avec un certain Jonathan Harker, qui a eu toujours le don d'exaspérer mes nerfs de lectrice...
Ajoutons également que Franziska, pour sa part, est assez éloignée d'une Mina ou d'une Lucy. Si elle s'avère être une victime, c'est elle-même qui se libérera de la fascination et de l'influence délétère du chevalier, avec un courage digne d'une héroïne qui semble très en avance sur son temps.
On peut cependant regretter que la fin soit si convenue, après une scène aux accents dantesques dans laquelle Franziska se défait de l'emprise de von Klatka...
On regrette donc à juste titre, que le récit soit si court, lui qui aurait mérité un large roman pour être développé et on savoure cette petite curiosité avec une sublime délectation.
Salut, j'espère que tu vas bien.
RépondreSupprimerMerci pour cette chronique sympathique. C'est intéressant de découvrir ce qui a pu inspirer un mythe tel Dracula. (Les mythes eux-mêmes ne jaillissant pas de nulle part).
Il est court, mais ça change, et ça peut le rendre plus accessible. (Je n'ai plus trop la motivation de lire depuis que c'est mon métier).
A bientôt !
Coucou Flo !
RépondreSupprimerJe vais bien, et j'espère que tout va se passe pour le mieux pour toi aussi ! J'imagine que lorsque l'on doit lire pour son travail, on doit perdre un peu quelque part le feu sacré au détour des lectures obligatoires ! Mais pourquoi pas lire quelque chose de court, cela peut être un bon compromis :)
Oui, il y a quelques inspirations du mythe qui m'intéressent bien, même si j'avoue que je déborde complètement d'enthousiasme pour celui-ci. J'aimerais beaucoup m'attaquer au fameux "The Vampyre" de John Polidori, écrit encore avant celui-ci (aux alentours de 1820 je pense), et que Lord Byron aurait soufflé...Je crois qu'une fois que l'on s'y attelle, la matière semblerait presque inépuisable...
A très bientôt
Tu as donc pu lire le roman dont tu me parlais ! Je pense qu'il s'agit effectivement bien de l'ouvrage traduit uniquement en anglais pour un temps, antérieur à Dracula, dont j'avais entendu parler. C'est vraiment la première esquisse du personnage tel qu'on le connaît, et c'est sympa de voir une héroïne un peu plus fantasque et combative que Mina (même si j'aime beaucoup ce personnage aussi). En tout cas, tu aiguises bien ma curiosité dessus, je vais essayer de trouver ce petit roman à l'occasion ! Il a l'air vraiment super d'après ton article, et tout aussi envoûtant que le livre de Stoker.
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