1956 : Alain Cuny : l'oeuvre au noir
Cette version de Notre-Dame de Paris, réalisée par Jean Delannoy, est la première adaptation cinématographique que j'ai pu voir, après la comédie musicale de Cocciante. Tout d'abord, elle est incontournable, car elle réunit au moins deux des plus grandes stars de l'époque, Gina Lollobrigida (Esmerlada) et Anthony Quinn (Quasimodo). On y trouve également d'éminents acteurs de théâtre, tels l'excellent Jean Danet (Phoebus), l'inénarrable Robert Hisrch (Gringoire), ou encore Philippe Clay (Clopin) , Jacques Dufilho (Guillaume Rousseau) et Roger Blin (Mathias)... et bien entendu celui qui nous intéresse ici, Alain Cuny. Cet acteur incontournable dans le répertoire de la tragédie et du théâtre claudélien, était un personnage singulier (voir la magnifique filmographie réalisée par Lorinda), esthète solitaire, philosophe de l'absolu, naviguant quelque part hors du temps dans une contemplation abstraite de la vie et des choses.
Il est presque utile de préciser ces éléments de sa personnalité pour parfaitement cerner la perception que l'on peut avoir de ce Frollo, qui sans avoir pu atteindre la perfection pour d'évidentes raisons, s'en est tout de même beaucoup approché. La singularité de l'acteur s'est pour ainsi dire transmise au personnage, à moins que ce ne soit l'inverse... Mais revenons-en tout d'abord à l'adaptation en elle-même et au statut de Frollo. Premièrement Jean Delannoy a réalisé là une adaptation très colorée (un peu trop peut-être), très proprette, très comme il faut, comme l'exigeait sans doute l'époque, et comme le voulait aussi probablement l'exportation américaine... Et puis, il y a Prévert au scénario, qui pourrait réellement se plaindre ? Des propos mêmes de Jean Delannoy (extraits de l'interview qui se trouve en bonus du dvd), il était souhaitable et volontaire que le statut de Frollo soit indéfini. On le voit en juge, ou en alchimiste, il semble vivre dans la cathédrale, agit en un homme d'église, et s'habille pratiquement comme tel... Au départ, le scénario prévoyait qu'il soit prêtre et comme Jean Delannoy le souligne, Alain Cuny était prêt à se faire tonsurer pour la circonstance... Seulement, en raison de la coproduction américaine, il leur a été vivement conseillé d'oublier le sacerdoce, ou du moins ne pas le mentionner. Cela était même tellement recommandé, que certaines scènes du film où apparaissent Frollo ont du être tournées en double : le Frollo de la version américaine n'a pas les mêmes dialogues, ni les mêmes gestes que dans la version française (on peut d'ailleurs voir des extraits de cette fameuse version sur youtube très facilement), et ce, toujours en vue de passer son silence son état ecclésiastique.
Alain Cuny observe Esmeralda |
Certains trouveront l'interprétation d'Alain Cuny très monocorde. Il est vrai qu'il est un monument de froideur, avec son visage que l'on croirait taillé dans la pierre, et ses attitudes pour le moins austères. Mais le Frollo original, n'a-t-il pas lui aussi cette apparence glaciale, et cette même intelligence vibrante dans le regard, qui laisse entrevoir le fond d'une âme bouillonnante et insondable ? Je pense que l'acteur s'est approché autant qu'il est possible de le faire, dans le cadre de ce film, du personnage. Il alterne les instants de mépris distant, avec des accès de jalousie, de fièvre et de folie qui sont sans doute aucun les plus respectueuses de l'esprit original.
"Vivante ! Tu es vivante ! Mais qui t'a apportée ici ? Le diable ou dieu sait qui !" |
Bien entendu, comme on l'aura compris, il existe des différences certaines entre le personnage du roman et celui campé par Alain Cuny, mais ce film reste sans doute la meilleure adaptation qui puisse être vue, et donnant à voir un Frollo, d'un statut certes indéfini, mais qui s'est approché autant qu'il était possible de la véritable nature de son homologue littéraire.
1976 : Kenneth Haigh : premier retour aux sources
Au même titre que l'adaptation précédemment citée, j'ai une très grande affection pour cette version réalisée par la BBC en 1976. Tout d'abord, il est à noter que celle-ci est pratiquement introuvable, car uniquement éditée en dvd chez Just Entertainment aux Pays-Bas et miraculeusement disponible en Belgique par ce biais... C'est donc avec une certaine curiosité et beaucoup de réserve que j'ai visionné cette adaptation la première fois, dont vous pourrez trouver la critique sur ce blog par ici : NDDP 1976.
Certes, les décors sont en carton-pâte, les éclairages sont chiches... A vrai dire, il s'agirait plutôt d'un théâtre filmé, et non d'une adaptation télévisée. Les acteurs y sont inconnus pour la plupart, mis à part peut-être Warren Clarke (qu'on a pu voir dans Our Mutual friend, dans le rôle de Bradley Headstone, tourné la même année), et David Rintoul (le Mr Darcy de l'adaptation de Pride & Prejudice de 1980).
La chose qui m'a sous doute le plus gênée est effectivement ce manque visible de moyens, et peut-être aussi une Esméralda pas très jolie, et qui danse affreusement mal... ! Mais passons... ^_^
Cette version comporte deux épisodes, et permet donc de s'attarder un peu sur certaines scènes passées à la moulinette dans les adaptations précédentes, si elles n'en sont tout simplement pas absentes. Ce qu'il y a de plus estimable à mes yeux, est qu'elle est réellement la première adaptation à laisser à Frollo son statut de prêtre, à montrer ses tourments intérieurs, sa passion et sa folie sans en avoir modifié la nature. La dichotomie choisie dans les adaptations les plus primitives, a laissé la place, d'une façon franche, à une présentation claire et nette du personnage, tel qu'il avait été imagine par Victor Hugo. Kenneth Haigh m'est apparu étrangement moins rigide que ses prédécesseurs, ou même certains de ses successeurs... Il campe un personnage relativement humanisé, même s'il garde une apparence glaciale, et particulièrement lugubre tout au long de ces 2 épisodes.
Kenneth Haigh (Claude Frollo 1976) |
Ce qui est sans doute le plus frappant ici, mais de très cohérent par rapport à l'oeuvre, sont ses sursauts
de sentimentalité, qui arrivent sans crier gare. On le trouvera donc tour à tour torturé, haineux, abject, puis transis d'amour, prêt à se damner. Dans ces scènes justement, l'acteur parvient à passer avec aisance de son attitude respectable, hautaine, terrifiante, à celle d'un homme au bord du gouffre, déchu, pitoyable.
Viste de Frollo à Esmeralda (Kenneth Haigh et Michelle Newell) |
A suivre : Sir Derek Jacobi (1982) et le Juge Frollo de Disney (1996) : Troisième partie
Coucou,
RépondreSupprimertes articles sont intéressants ! J'ai pas lu le roman mais j'avais bien compris que ce personnage était plus complexe que ce que j'avais pu en voir.
Est-ce que tu pourrais me filer la flimographie sur laquelle tu te bases s'il te plait ?
Merci miss !
Bonne continuation !!!
Hello Xian et merci pour ton commentaire !
RépondreSupprimerOh, filmographie, c'est un bien grand mot... Je me base uniquement sur les adaptations les plus connues, et les plus "trouvables" ;-).
Voici la filmographie que j'ai réunie comprend (ou comprendra, quand j'aurai terminé de rédiger les articles...!) :
- 1923, film de Wallace Worsley, avec Lon Chaney (USA)
- 1939, film de William Dieterle (USA)
- 1956, film de Jean Delannoy (France)
- 1976, téléfilm d'Alan Cooke (UK)
- 1982, téléfilm de Michael Tuchner (UK/USA)
- 1996, dessin animé des studios Disney (USA)
- 1996, ballet de Roland Petit
- 1997, téléfilm de Peter Medak (USA)
- 1998 à 2000 : comédie musicale de Richard Cocciante et Luc Plamondon (version française, italienne et russe)
- 1999 : Quasimodo d'el Paris,de Patrick Timsit
Voilà !
A bientôt.
Ma chère Clelie,
RépondreSupprimerPardon du retard de ce commentaire, alors que je lis tes articles sur les différents visages de Frollo avec impatience et plaisir ^^ !
Tout d'abord, une question : le fait de mettre en sous-titre à Alain Cuny 'L'oeuvre au noir' est-il une référence à Yourcenar ? Ce n'est pas la première fois qu'on me le mentionne, en parlant de Frollo...il va donc falloir qu'il sorte de la PAL de ma bibliothèque, une fois en France !
Sinon, bien entendu, je ne peux qu'approuver ce que tu dis sur Alain Cuny et Kenneth Haigh. Et sur le fait que tu as particulièrement raison de souligner que pour le premier, le personnage et son rôle se sont sans doute mêlés et compris, de manière très significative. La psychologie d'Alain Cuny ressemble parfois tant à celle de Frollo, que c'en est effrayant ! Et c'est sans doute pour cela qu'il a interprété ce rôle avec tant de justesse et de subtilité, malgré la maudite censure. Et j'aime beaucoup la façon dont tu précises que sa chute à la fin, est différente de celles des autres Frollo. Son silence, son absence de parole, a quelque chose de littéralement glaçant dans le film...
Quant à Kenneth Haigh, effectivement, c'est bien le premier vrai retour aux sources de Frollo, sans censure, sans dichotomie, et la présence d'un Jehan tellement adorable ne fait que renforcer l'aspect lugubre de son frère aîné, son désespoir, son aspect d'ombre et ses mouvements de folie passionnée. Et oui, sans doute comme Sir Derek Jacobi, il apparaît étrangement humain. Peut-être parce que ce sont les deux seuls Frollo à ne pas avoir cet aspect rigide que tu soulignes tant, certes inhérent au personnage, mais qui le rend parfois si froid et inaccessible, voire incompréhensible.
Je pourrais continuer encore longtemps ^^' Mais je me contente de dire que je suis très curieuse de voir la suite de ces portraits de Frollo ! Et puisque tu as précisé lesquels tu allais esquisser, j'attendrai avec impatience ton portrait de Laurent Hilaire, de Matteucci et du Frollo russe, car c'est ceux dont nous avons probablement le moins parlé...juste une question : celui russe, est-ce Alexander Marakulin, ou l'autre qui a inauguré le rôle avec lui (dont je ne parviens jamais à me rappeler le nom ^^') ?
En tout cas, magnifique article <3 Je ne peux que dire amen...
Bonjour ma chère Lorinda !
RépondreSupprimerJe suis vraiment ravie d'avoir de tes nouvelles, et de lire ton si beau commentaire sur ces deux interprétations de Frollo !
Pour répondre à ta première question, j'ai sous-titré l'interprétation d'Alain Cuny "l'oeuvre au noir" pour différentes raisons. Tout d'abord, et principalement pour son incarnation d'alchimiste, aspect de sa personnalité qui avait, elle aussi été fort négligée jusque là. D'autre part, parce que l'oeuvre au noir est, dit-on, l'étape la plus obscure du processus de la transmutation du plomb en or, dans la mystique alchimiste, et on associe volontiers Frollo à cette quête toujours éternellement insatisfaite du scientifique ou de l'intellectuel qu'il incarne.
Quant au roman de Marguerite Yourcenar, j'avoue honteusement ne pas l'avoir lu, mais j'ai vu le magnifique film d'André Delvaux, avec Gian Maria Volonte il y a quelques années, et sans que l'analogie soit tout à fait nette, le personnage de Zenon est lui aussi en quête perpétuelle, grande âme si brillante, mais tellement incomprise... Enfin, voilà pour l'explication...D'ailleurs, si tu as l'occasion de voir ce film, je te le conseille vraiment !
Mais revenons à nos moutons ! Il y a tellement de choses à dire, comme tu le soulignes, qu'on pourrait donner des explications et des nuances pendant des heures !
C'est vrai que j'ai hâte de m'attaquer à la suite de la chronique, mais j'ai un peu du mal à rassembler mes idées, d'autant que la version de 82, malgré l'excellent Derek Jacobi, ne m'inspire pas beaucoup... Mais c'est promis, je vais m'y remettre.
Concernant le Frollo russe, je suis littéralement tombée à la renverse quand j'ai découvert Alexander Marakulin via youtube... Quelle voix ! Il a un visage très fermé tout au long de la comédie musicale, puis ensuite il a tellement l'air de souffrir, il devient tellement pathétique, qu'il tirerait des larmes à n'importe qui (enfin, surtout aux frollophiles... ^_^) L'autre Frollo russe, ne serait-ce pas Balalayev ?
Encore une fois, je suis tout à fait ravie que tu apprécies cet article !
A très bientôt !
C.
Avec un impardonnable retard qui n'est pas que pour ici (--'), je te réponds une nouvelle fois.
RépondreSupprimerMerci de tes précisions pour le titre de "l'oeuvre au noir"...cela me paraît parfaitement justifié, et c'est une merveille de l'associer à la quête même de Frollo, autant dans ses recherches alchimistes, que pour lui-même...
Et je note très volontiers ce film, sois en sûre ! Si je parviens à le voir, je te le dirai vite, je pense ^^
Je comprends ta réticence pour la version de 1982, que je n'aime moi-même pas beaucoup...elle est tellement..."moyenne" à tous niveaux, je trouve, mais j'en reparlerai sur ton article particulier à cette version.
Ah, il n'y a pas à dire pour Alexander Marakulin, il est un superbe, magnifique Frollo ! D'ailleurs, pour beaucoup de membres du Frollo Forum, il EST Frollo, plus que Daniel Lavoie...il faut dire que je n'ai vu le spectacle russe qu'une fois (compte tenu, comme tu le soulignes, de l'absence de version officielle, quel dommage !) et je dois dire qu'à deux moments, quelque de magique apparaît et fait qu'il incarne véritablement Frollo, dans tout son tragique, sa souffrance et son pathétique ^^ Et oui, quelle voix ! Son Tu vas me détruire est simplement sublime.
L'autre Frollo russe, ah oui, Balalayev...les noms russes sont difficiles !
A bientôt !
Bonjour Clelie!
RépondreSupprimerJe m'excuse de mon retard, mais c'est dernier temps on était de la folie pour moi, et je n'ai malheureusement pas pu venir continuer à parler de tes critiques sur les différents visages de Claude Frollo. Tout d'abord, je partage le même avis que toi sur la version de Jean Delannoy. C'est à mon sens, l’adaptation qui suit le plus le roman de Victor Hugo (certes, il manque des scènes clés, comme la confession de Frollo dans le cachot d'Esmeralda.) Je voulais aussi souligner que c'est dans cette version que l'on sent vraiment un Frollo amoureux, et non un pervers obsédé par les formes féminines d'Esmeralda, et pour cela, cette version est la meilleure. Parlons maintenant de l'acteur qui prête ces traits à Frollo, Alain Cuny. Comme tu l'as faits entendre dans ta critique, il joue d'une façon magistrale ce personnage torturé par son amour pour la gitane. Son débit de voix, ses gestuels, ses regards, tout est parfait! Oui, il y a malgré tout une différence entre le personnage de Hugo et celui de Cuny, mais qu'importe, c'est celui qui s'en rapproche le plus.
Passons maintenant à l’adaptation de 1976, et ça va être très courte pour la simple et bonne raison que je n'ai pas reçu à mettre la main dessus. Tu as eu beaucoup de chance de pouvoir la voir, surtout que vue ta critique, il a l'air vraiment pas mal! Tu n'aurais pas un site ou je pourrais réussir à le trouver ? (a)
Je touche à ma fin, je reviens bientôt pour continuer à parler avec toi de ce merveilleux personnage!
A bientôt,
Lily.
Bonjour Lily !
RépondreSupprimerJe suis ravie de lire ton commentaire sur la version de 1956 de Jean Delannoy, et particulièrement la manière très juste dont tu dépeints le personnage tel qu'il a été interprété par Alain Cuny ! C'est une version que j'affectionne énormément, car elle est à mon sens véritablement une adaptation de référence. Quant à Alain Cuny, acteur très singulier, unique même je dirais, sa personnalité se fond tellement dans celle de Frollo que c'en est troublant... Il y a bien entendu des différences fondamentales, mais le film est véritablement une réussite dans son ensemble, et l'interprétation de l'acteur y est vraiment pour beaucoup !
Concernant la version de 76, on peut la visionner en entier sur youtube, grâce au lien ci-dessous :
https://www.youtube.com/watch?v=ez7SiUS0BlE
Cependant, je pense qu'elle n'est pas sous-titrée. De mon côté, j'avais trouvé le dvd dans une collection néerlandaise "Just Entertainment", mais le DVD ne figure plus dans leur catalogue, malheureusement. Soyons honnêtes, l'adaptation n'a pas bénéficié de beaucoup de moyens, mais elle est extrêmement proche du roman, notamment en ce qui concerne Frollo, interprété par un acteur plutôt sinistre, et fabuleusement bon. Malheureusement, je trouve que le manque visible de moyens la rend un peu hermétique... En tout cas, je ne peux que te la conseiller !
A très bientôt, et prends ton temps pour venir donner ton avis, rien ne presse !
A très bientôt et au plaisir d'en discuter !
Amicalement,
C.