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15 janvier 2019

TAG : les 10 films essentiels : 2ème partie

Voici la suite de l'article consacré au TAG des dix films essentiels, dont la première partie se trouve ici.

6. The Phantom of the Opera, de Joel Schumacher (2004)

J'aurais vraiment été malhonnête de ne pas en parler dans ce tag... C'est ce film qui m'a permis de (re)découvrir le Fantôme de l'Opéra, puisque j'avais lu le roman quelques années avant de voir le film en 2005. Le roman, jouant plus sur l'intrigue et le sensationnel que sur la tragédie du personnage principal, ne m'avait pas durablement marquée. C'est un voyant le film de Joel Schumacher, lui-même issu de la comédie musicale du même nom, baroque et flamboyante, que j'ai découvert ce personnage omniscient, génial, grandiloquent et tragique, qui depuis, n'a jamais cessé de me fasciner...

Retenir une scène en particulier a, à nouveau, été très difficile, puisque le film dans son entièreté, même si l'on peut lui reprocher son casting vocal très moyen, est une merveille visuelle, et est teinté d'un tel romantisme dramatique, qu'il est réellement très compliqué de faire un choix. Malgré tout, je pense que la scène qui m'a le plus émue au visionnage est celle où le Fantôme découvre que sa "protégée" Christine, en aime un autre. Le prestation de Gerard Butler dans cette scène est vraiment admirable : son personnage passe en une minute du désespoir à une rage meurtrière. On voit ses sanglots se transformer progressivement en exaspération, en colère, en destruction. L'acteur a magnifiquement retranscrit dans cette séquence le fait qu'Erik, le Fantôme de l'Opéra, pense, agit et vit perpétuellement dans des extrêmes. C'est ce qui rend ce personnage si digne d'intérêt... 

Si le personnage vous intéresse, n'hésitez pas à cliquer dans la liste des tags "The phantom of the Opera" sur ce blog ;)

Le Fantôme de l'Opéra (Gerard Butler) pleure sur son amour perdu

7.Dracula, de Tod Browning (1931)

Là encore, je ne pouvais pas passer outre... Je ne vais pas trop m'étendre sur le sujet, puisqu'il y a déjà pas mal d'articles consacrés au plus célèbre des vampires sur ce blog. Cependant, à nouveau, j'ai choisi ce Dracula en particulier parce que c'est justement à cause de Béla Lugosi que je dois mon addiction à ce mythe. Cet acteur magnétique, au regard inquiétant et à la gestuelle si caractéristique a si bien instauré l'image de ce dandysme d'un autre âge qu'il est et restera pour longtemps et beaucoup le Dracula de référence. De même ce film bénéficie d'une réalisation offrant des monochromes splendides, faisant en sorte que chaque plan est presque une oeuvre d'art...

En réfléchissant à une scène spécifique, j'ai retenu celle du balcon, qui m'est immédiatement venue à l'esprit. Dans cette séquence, le vampire, souhaitant rejoindre Mina, se poste un instant sur la terrasse baigné de brume menant à sa chambre, enveloppé de la large cape, qui est devenue la marque de fabrique de Lugosi et l'un des accessoires indispensables de Dracula dans l'inconscient collectif. Le réalisateur fait ensuite un gros plan sur le visage et les yeux de l'acteur, qui sous couvert d'un masque extrêmement inquiétant, exerce une fascination spectaculaire... Cette très belle scène, se déroulant dans un silence total, sans musique de fond, (c'est une des particularités de ce film qui ne bénéficie quasiment d'aucune bande originale), teinte cette oeuvre d'une aura assez lugubre et chargée...

Béla Lugosi dans Dracula : éternelle image du vampire

8. Star Wars : The Force Awakens, de J.J Abrams (2015)

Comme je l'ai mentionné dans la première partie de l'article, Star Wars n'est pas une franchise que j'ai apprécié toute jeune. J'y suis venue assez tard parce que je n'avais pas gardé un bon souvenir d'enfance de mes premiers visionnages, et la prélogie - qui soyons honnêtes, bénéficie d'un scénario assez aléatoire et de dialogues vraiment navrants - n'a pas aidé à ce que je me penche plus tôt sur la question. C'est grâce au film de J.J. Abrams que j'ai vraiment sauté à pieds joints dans la saga Skywalker...

J'ai adoré le film, les personnages, le scénario, l'image, la réalisation, la B.O., absolument tout en réalité, et ce malgré le flot continuel de haine que l'on peut lire partout sur la toile au sujet de cette nouvelle trilogie. Les deux personnages principaux, Rey et Kylo Ren, interprétés par Daisy Ridley et Adam Driver sont tout à fait fascinants, et plus encore la relation assez conflictuelle et ambiguë qu'ils entretiennent (ou pas :p)... Après l'opposition du fils et du père, du maître et de l'élève, voilà ici un concept tout neuf dans la saga Skywalker : adieu le manichéisme d'origine (je suis tout blanc ou tout noir), voilà ici le juste milieu, l'équilibre, les hésitations, les tentations subtiles... Cet aspect tout naturellement introduit dans The Force Awakens, 7e volet de la série, révolutionne un peu les codes de cette histoire qui suivait jusqu'alors un schéma narratif sans grande surprise. Nous avons d'un côté un personnage noir qui n'assume pas du tout ses actes, qui oscille, qui hésite, qui souffre de ce grand pouvoir qu'il possède et qui le rend instable, et de l'autre une héroïne au caractère fort, résolu, qui apprend elle-même à se connaître, à se construire, dans des tourments similaires. J'avoue que la scène qui a été la plus jubilatoire dans ce film a été toute la séquence dans la forêt, lorsque Kylo Ren a laissé tombé le masque et qu'il voit en Rey le même potentiel que le sien, et globalement à peu près les mêmes souffrances... L'opposition farouche entre les deux personnages, la rage de l'une et l'incompréhension de l'autre, le tout baigné dans cette atmosphère bleue et froide, conférée par cette forêt couverte de neige, est tellement dramatique, que je n'ai pu qu'adhérer et adorer !

Kylo Ren et Rey : les deux faces d'une même pièce ?

9. Richard III, de Laurence Olivier (1955)

J'ignore si je peux parler de Richard III comme d'un visionnage agréable, mais l'un de ceux qui m'aura marquée durablement, c'est certain ! Cette pièce historique bien connue de Shakespeare (que l'on classe parfois d'ailleurs dans les tragédies du maître anglais), est en grande partie responsable de l'image désastreuse que l'on a de ce roi emblématique, ambitieux, conspirateur, assassin et fratricide, ... Le Richard III de Laurence Olivier est glaçant, malgré sa réalisation en couleurs : c'est bien simple, même si on est assez fasciné et curieux du personnage, on est inévitablement mal à l'aise sur la durée. Laurence Olivier le campe comme un être assez retors, mais si caricatural qu'on le prend assez peu au sérieux à l'ouverture du film. La légèreté du ton contrebalance de manière assez formidable l'horreur des propos... Lorsque les machinations se mettent en place, et que l'on voit progressivement tous les héritiers de la couronne tomber comme des mouches, la fantaisie des manières et l'aspect presque grotesque de son ton, font que l'on ressent comme une aura malfaisante  traverser l'écran. Pour tout vous dire, à mon premier visionnage, le film, qui n'est pourtant pas très impressionnant visuellement, m'a fait faire des cauchemars horribles ! Il n'y a pas à dire, si le personnage historique en lui-même m'a toujours intéressée en raison des controverses qu'il soulève, Laurence Olivier lui a conféré, dans le contexte de la pièce et de son adaptation, un magnétisme mauvais, qui grâce à ses paradoxes, impressionne plus l'imagination du spectateur que ne l'aurait faite une représentation plus simpliste. 

Il y a évidemment plusieurs scènes marquantes dans ce film, et même glaçantes, je dirais... Mais, j'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour la séquence durant laquelle Richard III demande la main de la future reine Anne, interprétée par la très lumineuse Claire Bloom... Pas encore sortie du veuvage (son mari aurait potentiellement été assassiné par Richard), celle-ci le repousse avec haine et dédain... Il parvient cependant, en quelques phrases bien senties, et en ajoutant tout le dramatisme voulu, à lui faire reconsidérer la question... Cette scène est assez terrible, car elle résume à elle seule les pires ressorts de manipulation du personnage.

Laurence Olivier en Richard III : le roi qui en faisait trop... 

10. Les vestiges du jour, de James Ivory (1993)

Il est difficile de ne pas aimer les films de James Ivory... Cette manière de raconter les histoires simplement, sans grande fioriture, dans cette ambiance si délicieusement anglaise, est tellement délicate et inégalable. J'ai adoré Howard's End, et surtout A Room with a view, qui sont deux perles du réalisateur, mais ma préférence va tout droit à The remains of the day (Les vestiges du jour, en français), adapté du roman de Kazuo Ishiguro. Vous avez aimé Downton Abbey? Vous aimerez ce film, qui vous brosse des portraits de personnages avec leurs petits soucis, leurs grands problèmes, leur magnificence et leur bassesse, dans l'Angleterre de l'entre-deux guerres. Tout n'y est que retenue, subtilité et le jeu des deux acteurs principaux, magistraux dans ce registre, servent magnifiquement ce film à l'atmosphère feutrée. La scène qui m'a le plus marquée est celle où Miss Kenton, la gouvernante campée par Emma Thompson, surprend Mr Stevens (Anthony Hopkins), le majordome rigide et glacial, en train de lire un roman sentimental... Les deux personnages, qui ne cessent d'aller d'occasions manquées en frustrations, sont tellement beaux et subtils dans cette scène, qu'elle vous ferait presque monter les larmes aux yeux... 

Emma Thomson et Anthony Hopkins dans Les Vestiges du jour

J'en ai donc fini pour ma part avec cette délicieuse liste, et je tague donc ... qui le souhaite !!!

30 septembre 2016

Béla Lugosi : de l'icône à la légende

Cela fait des semaines, voire des mois que je songe à écrire un article sur Béla Lugosi, l'acteur qui incarna Dracula dans le film de Tod Browning en 1931... Cette fois, c'est décidé, voici un petit article retraçant le parcours de cet acteur fascinant, principal responsable de l'intérêt soudain que je porte au personnage de Stoker ! Son charisme indéniable, jusqu'à ce regard d'un bleu perçant, cette expression de dignité amusée, de mépris distant, de supériorité sublime, ont réellement fait du personnage ce qu'il est aujourd'hui dans l'inconscient collectif. Pour beaucoup, Dracula restera ce gentleman à la déférence glaciale, revêtu d'un habit de soirée, d'une longue cape, les cheveux tirés en arrière, avec sur les traits ce sourire énigmatique et dans les manières cette grâce d'un autre âge... L'acteur a été malheureusement aussi victime de son personnage, qui lui apporta le meilleur autant que le pire dans sa vie d'acteur... Au-delà des légendes assez improbables qui circulent sur son compte, malgré que quelques-uns soient tout à fait véridiques (il est arrivé quelques fois dans un cercueil aux avant-premières de Dracula à la demande de la production, et il s'est fait effectivement inhumé dans l'un de ses costumes de scène), Lugosi a eu une vie et un tempérament tout à fait dignes d'un personnage de roman... L'acteur fascine donc autant que le personnage auquel il demeure irrémédiablement lié.


Béla Ferenc Deszö Blaskò est né à Lugos, située en bordure de la Transylvannie, le 20 octobre 1882, dans une famille de quatre enfants dont il est le cadet. Il quitte l'école assez jeune pour se consacrer à la scène, où il interprétera de nombreux grands rôles du répertoire shakespearien, notamment au sein du théâtre national de Budapest. Lorsqu'éclate la première guerre mondiale, il est enrôlé dans l'infanterie comme simple soldat, jusqu'à être promu au grade de capitaine à la fin du conflit, après avoir subi de très sévères blessures sur le front russe. Au retour de la guerre, et en raison de ses activités politiques durant la révolution hongroise de 1919, Béla se voit contraint de quitter son pays pour échapper à la prison.

Avant d'être Dracula, Lugosi a interprété...
Jésus sur les scènes hongroises...

Il passe quelques temps en Allemagne, où il tournera quelques films sous le nom d'Arisztid Olt, avant de partir pour les Etats-Unis en 1920. Il intègre là-bas une troupe d'immigrés hongrois, avec laquelle il part régulièrement en tournée avant de se fixer à New-York, où on lui proposera en 1922 de jouer sa première pièce en anglais. Jusqu'ici, le comédien n'avait interprété que des rôles en hongrois, et il maîtrise d'ailleurs si peu la langue qu'il apprend son premier rôle entièrement en phonétique... Il enchaînera ensuite plusieurs pièces à Broadway jusqu'en 1926, en alternance avec les tournages de quelques films muets comme The Midnight Girl.

Dans The Midnight Girl, l'acteur campe un directeur de théâtre plutôt mal intentionné,
mais diablement charismatique 

L'année 1927, à l'âge de de quarante-cinq ans, l'acteur, qui a pris le nom de Lugosi en hommage à sa ville natale, va connaître un immense tournant dans sa carrière. C'est cette année-là qu'on lui propose pour la première fois de jouer le rôle du comte Dracula au théâtre. Il enchaînera des centaines de représentations de cette pièce à la renommée grandissante, dont on parle jusqu'à Hollywood... Son magnétisme écrasant, son allure aristocratique, jusqu'à ses propres origines, tout le destinait à ce rôle, semble-t-il, taillé sur-mesure.

A Broadway, Lugosi campe Dracula pour la première fois en 1927,
ici aux côtés de son compère Edward von Sloane, interprète de
Van Helsing sur scène, mais aussi dans le film de Tod Browning.

Lorsque Tod Browning, des studios Universal, se met à la recherche du rôle-titre pour réaliser la première réelle adaptation du Dracula de Stoker, on comprend aisément qu'il se soit intéressé à Lugosi. Le film connaîtra le succès que l'on sait, et Lugosi passera au véritable statut d'icône. L'acteur racontera souvent en plaisantant, qu'il recevait plus de courrier de fans à Universal que Clark Gable...


Magnétique et inquiétant Dracula...

Seulement, il y a un revers à la médaille : ce qu'il appela plus tard "Dracula's curse". A partir de 1931, son nom est associé irrémédiablement à celui du rôle, et il se retrouve alors catégorisé dans des films de genre. Très peu de réalisateurs s'oseront d'ailleurs à lui confier des personnages dans d'autres registres. Son très fort accent hongrois, qu'il est incapable de perdre, ne lui rend d'ailleurs pas service. Il ne jouera quasiment plus désormais que des assassins, des psychopathes, des monstres et des savants fous, mais Lugosi, malgré sa frustration, demeure envers et contre-tout, professionnel jusqu'au bout des doigts, même lorsqu'on lui fera jouer d'innommables navets. Dans l'impressionnant volume de films tournés, qu'il alterne avec un peu de théâtre (dont le rôle de Dracula, qu'il reprend en tournée dans les années quarante), quelques réalisations sortiront néanmoins du lot, notamment celles où il partage l'affiche avec l'autre icône du film d'horreur de la Universal, Boris Karloff. Les deux hommes s'accordent à merveille à l'écran, et beaucoup de films sympathiques sortiront de cette précieuse collaboration. On pensera notamment aux magnifiques "The Black Cat" (1934) ou "The Raven" (1935), tous deux inspirés de l'univers de Poe. Seul, Lugosi, tournera aussi "White Zombie" en 1932, film quasiment expressionniste et extrêmement oppressant, qui est devenu un classique du genre.

En médecin génial et mégalo dans The Raven (1935)...

...en scientifique vengeur face à un Boris Karloff psychopathe dans "The Black Cat"...

... et en meneur de zombies, en 1932, dans "The White Zombie"

En dehors des plateaux, malgré cinq mariages dont certains furent assez houleux, Lugosi se révèle être un homme charmant, quoique quelque peu fantasque (mais quel acteur ne l'est pas...) totalement à l'opposé des rôles qu'on a l'habitude de lui confier. En dépit de ses revers cinématographiques, il demeure bizarrement très attaché au personnage qui l'a fait connaître : il conserve une grande collection de capes et de costumes du comte, et s'amuse avec son fils à "jouer à Dracula" pendant des heures... Cette gestuelle, devenue mythique, fut d'ailleurs la directe source d'inspiration des studios Disney, lorsqu'ils réalisent en 1940 l'animation d'Une nuit sur le mont chauve pour Fantasia.

Le démon tapi dans la montagne, déployant ses ailes menaçantes durant la nuit
de Walpurgis, a été inspiré par la gestuelle de Lugosi

Mais Lugosi n'est pas totalement exempt de certains démons personnels. Ses anciennes blessures de guerre le feront souffrir toute sa vie, se faisant prescrire à tours de bras des injections de morphine et de méthadone dont il finira par devenir dépendant. Il se défera de cette addiction à la fin de sa vie, alors qu'il s'apprêtait à reprendre le chemin des studios aux côtés du réalisateur mythique mais très controversé, Ed Wood. Pratiquement ruiné, Lugosi meurt en 1956 d'une crise cardiaque, à l'âge de 73 ans.

Dans "The Invisble Ray"(1936)

S'engager dans la filmographie de Béla Lugosi, c'est pénétrer dans le monde de l'étrange, passant du chef d'oeuvre à des délires de série Z... On en ressort tantôt éberlué, tantôt surpris, mais jamais complètement indifférent. Dans la moindre de ses interprétations, même les plus étonnantes et les plus décalées, Lugosi reste presque cohérent, délicieusement sérieux, investi en quelque sorte par la pesanteur d'un rôle et d'un personnage à l'aura éternelle, qui fut tout autant une bénédiction qu'une malédiction.


"I have never met a vampire personally, but I don't know what might happen tomorrow"



08 février 2016

Dracula, de Tod Browning (1931)

Dracula, de Tod Browning (1931), avec Bela Lugosi (le comte Dracula), Helen Chandler (Mina), David Manners (John Harker), Dwight Frye (Renfield), Edward Van Sloan (Van Helsing), ...

Je ne ferai pas l'affront aux lecteurs de ce blog de leur imposer un résumé de Dracula, qui de par son statut mythique, n'en a sans doute guère besoin. Quoique. Il serait sans doute permis de se poser la question sur l'utilité de présenter Dracula, "le vrai", issu du roman foisonnant et, n'ayons pas peur de le dire, légendaire de Bram Stoker, écrit en 1897. Comme bon nombre d'oeuvres et personnages ayant atteint un tel rang dans l'imaginaire collectif, on ne peut que déplorer que l'un comme l'autre ont été extrêmement galvaudés. Loin d'être une spécialiste du sujet, je ne me permettrai pas de m'aventurer davantage sur ce terrain mouvant, n'ayant qu'une connaissance limitée du personnage et de son univers. Je n'ai aucun goût pour la littérature vampirique, et je n'ai d'ailleurs jamais réussi à lire le roman de Bram Stoker jusqu'au bout (même si je reconnais qu'à y réfléchir, je devrais vraiment remédier à cela). Dans cet article, il ne sera donc pas question de se positionner par rapport à cette difficile question de l'adaptation et de sa fidélité, même si de prime abord, et malgré le peu qu'un spectateur lambda puisse en connaître, on peut très bien se rendre compte que cette adaptation en particulier a réellement passé l'histoire originale à la moulinette. Elle reste cependant une curiosité, non seulement pour son interprète principal qu'on ne présente plus, Bela Lugosi, par le simple fait également que ce film est la première version parlante de l'oeuvre de Stoker, et la première aussi à montrer un Dracula infiniment plus inquiétant, plus dangereux, plus menaçant aussi que ses prédécesseurs, parce qu'il ne présente tout simplement pas physiquement un monstre. Ce Dracula, au contraire du Nosferatu de Murnau, a la distinction et les manières d'un gentleman et infiltre avec aisance la bonne société anglaise. Il fascine, il envoûte par son charme néfaste, avant de mettre tous ceux qu'il approche sous son emprise délétère.

Dracula (Bela Lugosi) et Mina (Helen Chandler)

Dans ce film se situant à l'aube d'un cinéma parlant encore à ses balbutiements, pas de bande originale, ou presque, si on excepte un extrait du Lac des Cygnes de Tchaïkovsky à l'ouverture. Toute l'ambiance du film repose justement sur une absence de fond sonore, qui se révèle finalement très efficace, et qui nous rappelle que le cinéma muet n'était alors pas très loin. Quant à la réalisation, elle n'a rien à envier aux expressionnistes allemands, composée de jeux en clairs-obscurs et d'accentuations de regards, prompts à faire frémir. Il y a un certain génie dans la mise en image, dans les décors, et dans l'absence criante et pourtant très intelligente d'effets spéciaux. Un peu de brume, et l'obscurité à elles seules pour instiller la terreur : cela fonctionne encore diaboliquement bien. Mais ne nous voilons pas la face, ce film, avec ses interprétations surdramatisées, ne peut plus réellement susciter le frisson chez des spectateurs aguerris à la foule d'atrocités que l'on voit fleurir sur les écrans modernes. Mais le malaise reste là, persistant, de même que ce souffle glacial qui semble tout droit descendre des méandres montagneux du col de Borgo.    


Ensuite, comment demeurer de marbre devant le regard pénétrant du Dracula de Bela Lugosi, de sa gestuelle, certes un peu désuète, mais ô combien inquiétante, qui a marqué son époque et le mythe en lui-même ? On peut toujours s'étonner également de ne jamais voir au cours de ce film relativement bref (un peu plus d'une heure dix), ni morsure, ni incisives démesurément longues, ni même une seule goutte de sang versée (le comble, tout de même pour un film de ce registre !)... Tout s'y déroule dans la suggestion. Et c'est cette absence d'images, au même titre que l'absence de musique, qui confère cet aspect à la fois asphyxiant et inquiétant au film. 

C'est en ces aspects que cette version passée au statut d'oeuvre incontournable du cinéma, et pas seulement du cinéma de genre, se doit encore d'être vue. Certes, on frissonne encore, même si on regrette que les personnages et la trame aient été autant malmenés, et on regarde cela coin du feu, toute lampe éteinte avec un délicieux frisson...



EDIT : et puisque nous sommes dans la veine vampirique, j'en profite pour attirer votre attention sur ce splendide Concert-Fiction, produit et diffusé sur France Culture :

Concert-Fiction : Dracula

Ecoutez, vous ne serez pas déçus ! Il s'agit d'une libre adaptation de Stéphane Michaka, avec notamment Maud Le Grevellec et le merveilleux Feodor Atkine, dans les rôles respectifs de Mina et Dracula.