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28 avril 2024

La musique, c'est du bruit qui pense (extraits de la playlist de printemps)

De nerfs et de bosses (Guilhem Valayé)


Je ne connaissais pas Guilhem Valayé avant d'écouter l'album du spectacle "Les Souliers Rouges", de Marc Lavoine et Fabrice Aboulker. Il y campe un personnage à la ténébreuse aura, Victor, le chorégraphe d'un ballet maudit, dont les motivations oscillent entre celles du Dr Faust, du Fantôme de l'Opéra ou encore de Claude Frollo... Je reviendrai sur le sujet à l'occasion, parce que c'est une pépite au rayon des personnages contestables et ambigus (voir un peu plus bas). J'ai surtout découvert par le biais de ce spectacle un magnifique compositeur, poète et interprète, et son premier EP solo, intitulé "Aubrac" sorti en 2022. Un véritable écrin de douceur, une immense bouffée de tendresse que cet album, dont tous les titres sont des véritables bijoux. J'aurais pu placer l'album entier dans cette playlist, mais j'ai opté pour "De nerfs et de bosses", assez révélateur du style unique de Guilhem Valayé. Des solos guitare-voix, et des textes à fleur de peau. Des mots et des rythmes qui font du bien au coeur et à l'âme... 

Sunset Boulevard (Tom Francis - A.L. Webber)



Sunset Boulevard est une comédie musicale bien connue d'Andrew Lloyd Webber, sortie en 1993, issue du film multi-oscarisé du même nom de 1950, réalisée par Billy Wilder. L'histoire retrace les destins croisés de Joe Gillis, un scénariste raté et opportuniste, et de Norma Desmond, une ancienne star du cinéma muet qui ne fait que rêver de sa gloire passée. A l'occasion de la cérémonie des derniers Olivier Awards au Royal Albert Hall de Londres, Tom Francis, l'interprète de Joe Gillis de cette nouvelle version, a délivré une performance extraordinaire du titre phare, intitulé sobrement "Sunset Boulevard". Une interprétation qui m'a laissée sans voix et que je revisionne volontiers en boucle... 

L'aérogramme de Los Angeles (Louis Garrel et Woodkid - cover d'Yves Simon)


J'ignorais que Louis Garrel s'était essayé à la chanson quand je suis tombée par hasard sur cette cover épique d'un titre d' Yves Simon, réinventé par le génial Woodkid. L'orchestration, l'harmonie des voix, tout y est atypique, mais c'est diablement beau et cela se passe complètement de commentaires.

Look at us now (Honeycomb) - Daisy Jones & The Six 


Tout a commencé avec le roman d'Evelyn Hugo, "Daisy Jones & The Six", récit à plusieurs voix retraçant le succès fulgurant d'un groupe de rock fictif "Daisy Jones & The Six", de leurs excès et de leurs addictions, mais surtout de la grande histoire d'amour contrariée des deux principaux protagonistes. Une véritable pépite dont je dois la découverte à mon extraordinaire filleule... Largement inspirée de la véritable histoire de Fleetwood Mac, le roman a été superbement adapté en série sur Amazon Prime. Pour quiconque aime la musique et les belles histoires (même si elle est un peu trash sur les bords, je vous l'accorde), elle vaut aussi le détour pour sa BO à tomber par terre, à laquelle les deux acteurs principaux, Sam Claflin et Riley Keough ont prêté leurs voix magnifiques. 

I need to know (Jekyll & Hyde, the musical) 


J'ai déjà parlé il y a quelques années de la comédie musicale de Frank Wildhorn, Jekyll & Hyde, par ici.
Comme souvent, les comédies musicales sont modifiées, adaptées, améliorées, au fil du temps par leurs auteurs et Jekyll & Hyde n'a pas échappé à la règle. En 1994, une nouvelle version a été enregistrée avec le sublime Anthony Warlow. Cette chanson qui ne figurait pas sur la première version du spectacle, I need to know, qui suit l'ouverture, pose très bien et très justement le personnage de Jekyll... Il y a un soupçon du Dr Frankenstein dans cette version très honnête et très brute de Jekyll, dans cette volonté farouche et déraisonnée à jouer avec le feu, très proche de l'adaptation de 1931...

Réussir sa vie (Les Souliers Rouges) - Céleste Hauser



Comme je l'évoquais plus haut, j'ai un énorme coup de coeur pour le spectacle musical "Les Souliers Rouges", et ce depuis sa création en 2016, et surtout pour le film de 1948 dont il est plus ou moins inspiré (et dont le dernier personnage à droite en bannière de ce site est l'un des protagonistes)... La toute dernière mouture du spectacle, actuellement en fin de tournée, est une véritable merveille. On aura compris, je pense, que je suis en admiration totale des chansons du grand antagoniste, campé par Guilhem Valayé, mais aussi de celles de l'héroïne, Isabelle, interprétée par la douce Céleste Hauser. Le titre "Réussir sa vie" est un titre très beau, puisqu'il parle de la douloureuse question du choix : "Réussir sa vie ou réussir dans la vie." C'est tout le questionnement du personnage, qui est mis face à ces deux options inconciliables...

Pour lire une très belle analyse du spectacle, lire l'article sur le blog de Hauntya's room.

A suivre...  

04 octobre 2016

Les Souliers rouges : conte musical de Marc Lavoine et Fabrice Aboulker


Conte musical, écrit par Marc Lavoine et Fabrice Aboulker, librement inspiré du conte d'Andersen "Les chaussons rouges", et interprété par Marc Lavoine (le compositeur), Coeur de pirate (La danseuse étoile), Arthur H. (le chorégraphe).

Pas de très long article cette fois, mais un simple partage de coup de coeur en musique. En lisant le magazine "L'Obs" il y a quelques semaines, je découvre de manière très fortuite la sortie imminente d'un album, ou plutôt d'un conte musical, composé par Marc Lavoine et son compère de longue date, Fabrice Aboulker (auteur, entre autres des Yeux Revolver). Ce cd de 15 titres, raconte l'histoire d'une jeune artiste rêvant de gloire, ne vivant que de danse. Elle rencontre un chorégraphe tourmenté, interprété par Arthur H., qui lui propose d'interpréter un ballet maudit, "Les Souliers Rouges", qu'il cherche à monter depuis des années. Elle accepte, au prix d'un sacrifice qu'elle sait d'ores et déjà immense. Lorsqu'elle tombe amoureuse d'un compositeur jaloux, campé par Marc Lavoine, elle sera face à un choix impossible : l'amour de l'art ou l'amour tout court...

Alors évidemment, en écoutant l'album et en découvrant la trame, on ne peut décidément penser qu'au film mythique d'Emeric Pressburger et de Michael Powell de 1948, "The Red Shoes", ce que les créateurs du conte musical se gardent bien de mentionner, se contentant de parler de leur source d'inspiration première, c'est-à-dire, du conte original d'Andersen. Or, je pense qu'il n'y a absolument rien de gênant à ce que cette oeuvre-ci s'inspire tant du film, je trouve au contraire qu'ils sont merveilleusement complémentaires... La trame du conte musical est tout à fait identique à celle du film, que je rappelle brièvement : Vickie Page, humble jeune danseuse mais diablement déterminée, rêve de danser dans la compagnie du directeur de ballet, Boris Lermontov, homme tourmenté et tyrannique, dont elle devient peu à peu la muse. Lorsqu'elle tombe amoureuse du compositeur du ballet "Les Chaussons rouges" et qu'ils quittent la compagnie pour se marier, Lermontov ressasse sa rage, avant d'essayer désespérément de la récupérer dès que le mari a le dos tourné... Vickie se retrouve en otage d'une situation intenable, d'un abominable chantage affectif : d'un côté le mari jaloux qui ne supporte pas de voir sa femme danser pour Lermontov, et de l'autre le directeur de ballet possessif qui ne tolère aucun partage. La malédiction du ballet est en marche...



Vraiment très peu de différences donc entre l'histoire scénarisée par Emeric Pressburger et le livret du conte musical. Il s'agit des mêmes sacrifices, des mêmes tiraillements, des mêmes chantages, autour de ce personnage déterminé mais fragile, qu'interprète magnifiquement Coeur de pirate. La musique est tantôt sobre, tantôt tragique, et les paroles, même si elles ne sont pas parfaites car parfois un peu maladroites, sont pourtant toujours très efficaces et parviennent à transmettre en peu de mots de merveilleuses émotions, grâce à des interprétations à fleur de peau. Marc Lavoine et Arthur H prêtent magnifiquement leurs timbres graves à leur personnage respectif, le premier plutôt dans un registre de romantisme passionné, l'autre dans celui d'une mélancolie tragique, qui sait qu'il entraîne sa muse vers un abîme. Ne lui dit-il pas d'ailleurs, d'une voix sombre, dans le splendide morceau "Rêve d'une vie", qui me paraît le plus abouti de l'album :

"Viens danser dans ma nuit ; Les souliers rouges à tes pieds, endormis ; Offre-toi au dieu de la danse : Comme un cadeau immense." 

Il est en cela un digne héritier du personnage glacial interprété à l'origine par Anton Walbrook, quoiqu'en renforçant son côté damné, puisqu'il semble corrompre tout ce qu'il approche et tout ce qu'il touche... mais le diable n'est sans doute pas loin dans ce conte musical absolument splendide, qui oscille entre récit fantastique, et fable romantique.










05 septembre 2014

The Red Shoes, de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948)

Les Chaussons Rouges, de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948 - Films Arthur Rank - GB - durée : env. 2h10), avec Moira Shearer, Marius Goring, Anton Walbrook.

Victoria Page est une jeune ballerine, rêvant de danse et de gloire. Après la première du ballet "Heart of fire", on lui présente l'éminent directeur de ballet Boris Lermontov, qui l'engage. Personnage intransigeant, rigide et hautain, Lermontov a décelé en elle un potentiel extraordinaire, et est bien décidé à en faire la nouvelle vedette de sa compagnie dans un projet d'envergure : créer un ballet inédit, "Les Chaussons Rouges", qu'un jeune compositeur, Julian Craster, nouvellement engagé, vient de lui écrire. Pour eux, ce sera la gloire assurée, à condition de s'y consacrer corps et âme. Lorsqu'il apprend que la jeune danseuse et le compositeur sont tombés amoureux l'un de l'autre, Lermontov en conçoit une rage  terrible...

***

Malgré que ce film ait été porté aux nues par les plus grands (Martin Scorsese, Brian de Palma, ou encore Coppola - excusez du peu), je ne le connaissais absolument pas, et il est proprement malheureux d'être passée à côté pendant tout ce temps... Les Chaussons Rouges, titre du ballet que joue la jeune Vickie Page, issu lui-même du conte d'Andersen, est à n'en pas douter, un de ces films qui, une fois visionnés, ne s'oublient jamais. A la fin du visionnage, on reste comme quelques minutes en "flottement", rêveur, incapables de se détacher de cette histoire troublante, bouleversante, qui oscille entre oeuvre onirique, drame musical et conte fantastique. Ce film, écrit par Emeric Pressburger et sorti en 1948, est une sorte d'heureux télescopage d'images et d'idées entre La belle et la bête de Cocteau, Les visiteurs du Soir de Marcel Carné, Le Fantôme de l'Opéra et Pygmalion... L'histoire en elle-même est bien peu fantastique au départ, puisqu'elle se concentre sur les aspirations d'une jeune femme qui souhaite devenir une grande danseuse, et sur le parcours plutôt amer de ses débuts dans la troupe de l'énigmatique et glacial Boris Lermontov, le directeur de ballet qui l'a engagée. Peu à peu, au fil des répétitions du ballet inédit, le rythme du film change, tout comme les images, la musique : le scénario alors très académique se transforme en une plongée dans le conte original d'Andersen et la fameuse malédiction des chaussons rouges, qui contraignent leur propriétaire, à danser éternellement, sans jamais s'arrêter, jusqu'à l'épuisement. On ne sait dorénavant plus si l'héroïne incarne simplement un rôle, ou si le rôle a trouvé en elle une incarnation ultime, puisqu'il résonne à présent dans son existence comme une réalité funeste (et là, on pense que Black Swan n'a vraiment rien inventé...). La vie de la jeune femme devient alors une allégorie pure et simple du conte, très habilement transformé dans un triangle amoureux inévitable, mais ô combien prévisible, qui n'est pas forcément celui que l'on croit, et qui se lit à divers degrés. Il est très rare pour un film de cette époque de voir une telle finesse et une telle modernité dans le traitement des personnages, y compris dans la manière de les présenter aux spectateurs.

Victoria "Vickie" Page (Moira Shearer)
Car la richesse de ce film, s'il se trouve dans le scénario et sur la modernité du propos et des plans,  repose tout autant sur le trio de tête des personnages, de Julian Craster, à Vickie Page, en passant par Boris Lermontov, tous trois incarnés, cela dit en passant, par de quasi inconnus.

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Jeune femme toute entière dévouée à son art, Vickie Page, enrôlée à force pugnacité dans la grande compagnie dirigée par Lermontov, est une incarnation subtile mais entière, du sacrifice. Ce dévouement total qu'elle s'impose avec un optimisme juvénile, ne serait pas si terrible si elle ne l'avait promis à Lermontov, personnage magnétique, inquiétant de froideur et de grâce arrogante, qui l'a prise sous sa coupe. Le bienveillant ascendant des premiers temps prend vite des allures d'emprise délétère. La jeune femme devient alors un objet de manipulation et de chantage affectif. Lorsque celle-ci est confrontée à faire un choix de vie, un choix tellement humain - entre l'amour de l'art et l'amour tout court - son mentor la rejette avec une rage mal contenue, qu'on ne perçoit qu'à travers un mépris insultant.


Boris Lermontov (Anton Walbrook)
Que sait-on d'ailleurs de Boris Lermontov, personnage favori de toute la carrière du scénariste Emerich Pressburger ? Être rigide, hautain, égoïste à un degré suprême, animé d'un désir compulsif de perfection, que recherche-t-il vraiment ? Directeur et impressario tout-puissant d'une compagnie de renommée internationale, il sait ce qu'il veut et où il va, sans jamais aucune remise en question. Abandonnant et méprisant ceux qui ne peuvent le suivre, il fait et défait les carrières et les vies, si elles ne répondent plus à son sens du sacrifice et de la dépendance. On ne sait non plus ce qui le lie réellement à Vickie, hormis les espoirs qu'il a mis en elle follement, presque désespérément, comme si elle était l'incarnation ultime, inconditionnelle de son absolu. Inspiré à plus d'un titre par le véritable Sergeï Diaghilev, créateur et directeur des Ballets Russes, on retrouve chez Lermontov, cette personnalité écrasante, intolérante, quoique fascinante, celle qui subjugue son entourage, en même temps qu'elle ne l'entraîne encore et toujours vers le fond. Encore faut-il que ceux qu'il a sous sa coupe répondent à des aspirations équivalentes aux siennes... Si Vickie devient en quelque sorte son jouet favori - contrairement aux autres membres de la compagnie, qu'il estime avec une bienveillante politesse - c'est qu'il pense avoir face à lui une âme non pas semblable à la sienne, mais une âme jeune et influençable sur laquelle il peut peser lourdement, non par la terreur, mais par la fascination. Il peut ainsi projeter sur elle ses souhaits d'inconditionnelle perfection.

Lermontov : un autre personnage frollien ?


Du dévouement à l'emprise
Les scènes de ballet sont ensuite très révélatrices (pas moins de quinze minutes de danse sans coupure, absolument magiques), entre onirisme et symbolisme, on suit le cheminement de la jeune femme sur la voie de cette fascination à double tranchant : lors de la première représentation, elle voit sur les traits du danseur qui incarne le chausseur diabolique, ceux de Lermontov... Scène au symbolisme lourd, puisqu'elle révèle qu'il n'y aura finalement plus d'autre issue que celle, funeste, que véhicule le conte d'Andersen.

Lorsque Vickie lui échappe, en quittant la troupe pour se marier avec le compositeur Julian Craster, musicien doué, compositeur des Chaussons, qui officiait au sein de la compagnie, Lermontov ressasse une colère noire. Jalousie maladive révélatrice d'une tempérament obsessionnel ? Sans doute, quoiqu'on ignore tout à fait si le sentiment amoureux à quelque chose à y voir... Lermontov se dit en effet jaloux, mais pas de ce que l'on pense, et probablement pas du mari de Vickie, homme inoffensif, tendre, attentionné, forcément assez transparent, mais tellement égoïste lui aussi... On ne quitte pas si facilement le vieux carcan qui a eu cours pendant des siècles, et qui veut qu'une femme mariée sacrifie tout à son époux, tout y compris elle-même, jusqu'à s'oublier, jusqu'à s'effacer... La jeune femme ne déroge pas à la règle, et ne danse presque plus, et est, on n'en doute guère, très malheureuse d'avoir abandonné sa carrière. Lorsqu'elle a l'opportunité de la reprendre, ou plutôt, lorsque Lermontov lui propose de revenir dans la compagnie pour danser Les Chaussons Rouges, elle est à nouveau confrontée à un choix impossible : d'un côté le mari jaloux, exigeant à son tour un sacrifice total (si on n'avait pas réellement détester ce personnage jusque là, à présent, c'est chose faite!), et de l'autre le mentor, le pygmalion sans scrupules qui réclame l'aboutissement d'un idéal hors de portée...

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On ne peut regarder la fin des Chaussons Rouges qu'étourdi, et n'en ressortir qu'avec la conviction d'avoir vu un véritable chef-d'oeuvre... Il s'adresse autant aux amateurs de danse qu'aux autres, tout comme aux adorateurs de personnages complexes... A voir et à revoir sans aucune modération !



 Pour terminer cet article, la scène de rencontre entre les deux principaux protagonistes, Vickie Page et Boris Lermontov :



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Et je ne résiste pas à poster quelques délicieuses photos de promo du film...