Affichage des articles dont le libellé est Hamlet. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Hamlet. Afficher tous les articles

03 janvier 2019

TAG : Les dix films essentiels : 1ère partie

Une fois n'est pas coutume, pour casser la monotonie des articles, voici un petit TAG bien sympathique, glané au hasard du web, sur lequel j'ai trouvé très agréable de réfléchir...

Le but : citer dix films qui ont eu un impact significatif sur vous lors du premier visionnage, que vous l'ayez vu enfant, adolescent ou adulte. Afficher une image, qui ne soit pas l'affiche du film, mais d'une scène-clé essentielle à vos yeux, par exemple. Pas de longue explication, juste le sentiment général qui s'y trouve lié...

1. Hamlet, de Laurence Olivier (1948)

C'est le premier film qui m'est venu à l'esprit lorsque j'ai réfléchi à ce tag. Il est certainement l'oeuvre qui a le plus marqué mon adolescence et mon rapport au théâtre classique. J'ai déjà parlé de ce film ici, je ne vais donc pas trop m'étendre sur le sujet, mais il est vrai que son esthétique unique, son ambiance lugubre et asphyxiante a énormément conditionné ensuite mes goûts en matière de films, de récits, et d'art en général (maintenant que j'y pense, ce doit être à cause d'Hamlet que j'adore le monochrome...) Ce film est à mon sens la plus merveilleuse adaptation de la pièce, d'autant qu'elle véhicule une sorte d'aura ténébreuse qui a tendance à imprégner le spectateur longtemps après le visionnage. La scène-clé qui m'a le plus marquée dans ce film est la scène du premier acte, durant laquelle le spectre du défunt roi apparaît à son fils sur les hauteurs des remparts du château d'Elseneur. Le fantôme du monarque apparaît dans une brume épaisse, sur un fond d'un noir d'encre aussi n'aperçoit-on que les contours du personnage, hormis le reflet de deux yeux incandescents sous un heaume... La voix de l'apparition qui semble comme émaner des profondeurs n'est pas étrangère au malaise que l'on ressent au visionnage (pour l'anecdote, cette voix est en réalité celle de Laurence Olivier, qui avait enregistré le texte sur une bande magnétique, qu'il a simplement passé au ralenti au montage : comme quoi, ce sont parfois les effets les plus simples qui se révèlent les plus efficaces) ... Glaçant et magistral...


I am thy father's spirit,
Doomed for a certain term to walk the night
And for the day confined to fast in fires
Till the foul crimes done in my days of nature 
Are burnt and purged away. [...]


2. Dune, de David Lynch (1984)

Pour le coup, il s'agit ici d'un film d'enfance, et un film bizarroïde s'il en est. Tout le monde a, je pense, déjà entendu parlé de Dune, l'interminable série de romans de science-fiction de Frank Herbert. Il s'agit ici de l'une des adaptations sans doute les plus folles (peut-être pas forcément la plus fidèle au roman) - forcément me direz-vous, car elle a été pensée et réalisée par David Lynch - mais aussi la plus noire. J'ai vu ce film vers l'âge de 7 ou 8 ans, si je me souviens bien, et malgré qu'il soit assez horrible à voir pour un jeune public, je l'avais absolument adoré. Pas de visuel très sanglant, mais un nombre faramineux d'assassinats, d'intrigues politiques et familiales, de grosses bestioles rampant dans les sables, sur fond de trafic d'une drogue appelée l'épice et donnant un pouvoir incommensurable à celui qui la consomme, notamment celui de voyager dans l'espace sans déplacement...  L'intrigue est particulièrement retorse, donc, mais très onirique et symbolique, surtout quand je la considère a posteriori. J'ai eu toute mon enfance une admiration sans bornes pour le personnages de Paul Atréides (Kyle MacLachlan, ci-dessous), alias le Muad'Dib, sorte de messie attendu par le peuple des Fremens, habitant la planète Dune. Le personnage, omniscient, charismatique, voire légèrement tyrannique, est absolument fascinant. J'ai vraiment dû faire un choix cornélien pour retenir un plan en particulier, car il y a énormément de scènes essentielles dans ce film, qui dans mon enfance, a toujours eu ma préférence par rapport aux films de la franchise Star Wars, que j'ai (re)découvert plus tard. La scène en question se déroule dans le désert d'Arrakis, autre nom de la planète Dune, lorsque Paul, pour prouver au peuple des Fremens qu'il est le messie tant attendu, se doit de maîtriser le ver des sables géants, qui sécrète l'épice. Paul "appelle" donc la créature, horriblement dangereuse, tandis qu'au loin, les Fremens observent la scène...
A vrai dire, rien que le fait d'en parler me donnerait presque envie d'écrire un article à part entière sur le sujet... :) Il se pourrait bien qu'un jour je m'y mette... 

Paul Atréides, le Muad'Dib attendu sur Arrakis

3. Notorious, d'Alfred Hitchcock (1946)

Encore un autre film d'adolescence, découvert grâce au Cinéma de minuit, que j'ai vu, vu et revu à un point que la VHS en était devenue toute usée... Notorious, traduit en français par Les Enchaînés (titre vraiment ridicule, s'il en est), raconte l'histoire de deux agents des services secrets américains, Devlin et Alicia, campés par Cary Grant et Ingrid Bergman, partant à la traque aux anciens nazis réfugiés en Amérique du Sud. Dans le but de mettre au jour leur laboratoire de raffinement de minerais d'uranium, la jeune espionne parvient à se faire épouser par le chef de leur réseau, interprété par Claude Rains. Tout se déroule à peu près pour le mieux jusqu'au jour où elle est progressivement empoisonnée par son mari à coups d'arsenic...
Notorious, malgré l'excellente excuse d'être un film d'intrigue et d'espionnage, est avant tout un petit bijou romantique à l'état brut... On dirait presque que l'histoire de groupuscule nazi n'est qu'une excuse pour des scènes à faire fondre nos coeurs de midinette à l'écran. Parce que les deux espions, ben, ils s'aiment, mais c'est compliqué... :) L'une est une ancienne alcoolo repentie, doublée du fait qu'elle est d'origine allemande, mais bonne comme le pain, et l'autre est un gars inaccessible, parfaitement glacial, qui sait bien que ce n'est pas une bonne idée, ah non, vraiment pas, de s'enticher de sa partenaire... Alors, bref, ce film est un déluge de romantisme, avec amours contrariées à la clé. La scène qui me vient tout naturellement en tête est celle où Devlin, malgré l'interdiction de sa hiérarchie, part à la rescousse d'une Alicia empoisonnée, et retenue captive dans la maison de son nazi de mari... C'est beau, c'est pur, c'est d'un romantisme fou, et pourtant sans jamais d'excès. C'est vraiment un film dont je ne me lasse pas.

Notorious : encore un plaisir coupable, tiens...

4. Jane Eyre, de Robert Stevenson (1944)


Décidément, la plupart des films qui m'ont marquée durablement ont été visionnés pendant l'adolescence... J'ai vu celui-ci durant l'été sur la chaîne Club-RTL qui diffusait auparavant tous les mercredis soirs, un classique du cinéma... Je ne connaissais à l'époque pas du tout Jane Eyre, ni l'histoire d'ailleurs, que j'ai découvert en visionnant ce film avec Orson Welles et Joan Fontaine. Le lendemain, je commençais le roman (merci la bibliothèque familiale), qui m'a tenu en haleine pendant 3 jours, durant lesquels je ne faisais absolument que lire... Ce roman est non seulement celui qui m'a permis de connaître la littérature victorienne, mais qui m'a aussi plongé dans la passion de la lecture tout court. Alors certes, le film a des défauts (et je vous passe vraiment l'horreur totale de la VF), mais il a une magnifique atmosphère. J'ai particulièrement été marquée par le scène lors de laquelle Jane et Helen, au pensionnat de Lowood, sont punies pour avoir fait preuve de rébellion et de vanité... On les voit donc porter des poids à bout de bras, en tournant en rond dans la cour de l'école, sous une pluie diluvienne. Cet épisode est d'ailleurs absent du roman, mais il permet de résumer en quelques images fortes les privations et les humiliations subies par Jane au pensionnat.



5. Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban, d'Alfonso Cuarón


C'est décidément ce film de la série qui m'a rendue accro à la saga. Auparavant, je n'avais pas lu les romans, et ne connaissais l'histoire que de manière très imparfaite. Le Prisonnier d'Azkaban, avec son esthétique irréprochable, sa noirceur, ses personnages attachants et troubles, m'a vraiment marqué l'esprit. La scène-clé qui me vient à l'esprit est sans doute celle du train, arrêté par les détraqueurs venus d'Azkaban. Je me souviens avoir été glacée par l'apparition de ces créatures désincarnées dans le compartiment de Harry, lorsque toutes les vitres se recouvrent de givre, et que l'on voit une main noueuse, osseuse, se glisser sur la porte pour l'ouvrir. Une véritable vision de cauchemar et un grand moment d'angoisse... :p 



La deuxième partie, c'est par ici.

23 août 2018

Hamlet, de Laurence Olivier (1948)


Hamlet, de Laurence Olivier (1948)


Adapté par Laurence Olivier, d'après la pièce éponyme de William Shakespeare.

Avec Laurence Olivier (Hamlet), Jean Simmons (Ophelia), Basil Sydney (Claudius), Eillen Herlie (Gertrude), Norman Wooland (Horatio), Felix Aylmer (Polonius), Peter Cushing (Osric),...


Oscar du meilleur film 1948
Oscar du meilleur acteur 1948
Oscar de la meilleure direction artistique 1948
Oscar de la meilleure création de costumes 1948
Lion d'or de la Mostra de Venise 1948
Golden Globe du meilleur acteur
BAFTA du meilleur film 1949

***
A la cour de Danemark, on fête le mariage du roi Claudius et de la reine Gertrude, le frère et l'épouse du précédent monarque, mort deux mois plus tôt. L'héritier du trône, son fils unique Hamlet, voit d'un mauvais oeil ce mariage précipité et souffre en silence de la mort de son père. Une nuit, le spectre du défunt roi lui apparaît sur les remparts du château d'Elseneur et lui apprend qu'il a été assassiné par Claudius,  exhortant son fils à la vengeance. Mais Hamlet, aux prises avec les remords de sa mère, son amour pour Ophélie, la fille du grand chambellan, ainsi que ses propres scrupules, tarde à agir...

***

Hamlet, scénarisé, dirigé, et en partie produit par Laurence Olivier, est le deuxième film de sa fameuse "trilogie shakespearienne", réalisé après Henry V (1944, et ayant également reçu un Oscar d'honneur en 1947), et avant Richard III (1955, récompensé par deux BAFTA). J'ai découvert ce film, ma toute première adaptation shakespearienne à dire vrai, lorsque j'avais 15 ans, de manière tout à fait fortuite. Je me trouvais alors à l'époque dans une période sévère d'addiction aux films rétro, et j'avalais à peu près toutes les oeuvres de cette catégorie qui pouvaient me passer sous les yeux, et Le cinéma de minuit aidant, j'ai fini forcément par tomber sur Sir Laurence Olivier (1907-1989), éminent acteur britannique pourtant assez peu connu dans le monde francophone. Or, ce dernier est une véritable icône Outre-Manche, une espèce de dieu du théâtre et plus particulièrement du répertoire shakespearien. Il fut un adepte de la scène, mais aussi du cinéma (pour Hitchcock, Wyler, Manckievicz, Preminger, Kubrick,...), mais aussi le scénariste et le réalisateur des trois adaptations shakespeariennnes les plus emblématiques du 7ème art, et ce bien avant Kenneth Brannagh.


La trilogie shakespearienne de Laurence Olivier : Henry V, Hamlet, Richard III



Mon premier visionnage de Hamlet par Laurence Olivier, remonte à un peu plus de vingt ans, et fut en réalité un véritable coup de poing. J'ai été en quelque sorte "happée" immédiatement par Shakespeare, par la pesanteur et la symbolique de cette tragédie, sans doute l'une des plus connues du monde. Cette adaptation a quelque chose de tout à fait glaçant et d'unique par rapport à ce qui a été réalisé ensuite. A une époque où la couleur avait pourtant déjà pointé le bout de son nez sur les pellicules, ce Hamlet a été volontairement tourné en noir et blanc, avec des plans d'un esthétisme léché qui s'inspire largement du cinéma expressionniste allemand. Les contrastes saisissants de lumière, la présence presque asphyxiante de ces ténèbres qui cernent les scènes les plus évocatrices de la pièce, donnent une teinte très onirique à l'ensemble, que n'aurait sans doute pas renié certains réalisateurs de films d'horreur des années trente... 


"Where wilt thou lead me? Speak, I’ll go no further."



En d'autres termes, le film de Laurence Olivier est une oeuvre inspirée, et ce à plus d'un titre... L'atmosphère lugubre de l'image est d'ailleurs délicieusement mise en valeur par une bande originale d'une splendeur grandiloquente, conçue par le génial compositeur britannique William Walton, que l'on peut écouter presque dans son intégralité par ici.

Ensuite, il s'agit là de la première adaptation parlante de la pièce, et qui parvient à tenir en deux heures trente, dans un format dit "acceptable" pour une diffusion au cinéma, et surtout qui parvient à éviter les inévitables longueur de l'oeuvre originale qui doit atteindre une durée de 3h30 à 4h au total lorsqu'elle est jouée sur scène... Alors certes, certains ont crié ou crient encore au scandale en constatant les visibles raccourcis empruntés, les personnages passés allègrement à la trappe pour offrir cette oeuvre finalement très accessible. Car ne nous voilons pas la face, Hamlet, au-delà du génie de ses thèmes et de la magnificence de sa langue, comporte son lot de scènes et de personnages ennuyeux, presque facultatifs, et qui auraient presque tendance à éloigner le spectateur de sa thématique principale. Peut-être suis-je partiale sur le sujet, mais après avoir lu l'oeuvre originale un certain nombre de fois, force m'est de constater que les extraits remaniés et les personnages supprimés chez Laurence Olivier sont justement ceux qui vous insupportent à la lecture (Rosencrantz, Guildestern, Fortinbras), et qui ont tendance à faire perdre au personnage central un peu de sa ténébreuse aura. Personnellement, ce remaniement n'est donc pas pour me déplaire, mais je conçois aisément que cela puisse gêner les puristes. Le propos est donc  plus dense, mais le message véhiculé par la pièce originale s'en retrouve plus pertinent et plus puissant aussi.




Au-delà de ces aspects de forme, venons-en au fond. Si Laurence Olivier a réalisé, adapté et produit le film, il en interprète également le personnage principal. Peut-on réellement mettre en doute le fait véhiculé depuis lors qu'il s'agit là de l'une des meilleures interprétations du personnages et aussi l'une des plus abouties ? Vélléitaire, rongé par un écrasant complexe d'Oedipe, cet Hamlet d'une noire mélancolie, attire vers les abîmes où il se trouve tous ceux qu'il approche. Il est de ces personnages que l'on ignore comment classifier, du côté de l'ombre ou de la lumière, et qui oscille perpétuellement dans un entre-deux où il peut ressasser sa légendaire inaction. Hamlet n'est pas un héros, ne l'a jamais été. L'adaptation ne contredira jamais cet état de fait. Elle joue justement dans un registre volontairement incertain, expliquant tantôt ses actes ou ses absences d'actes par sa nature angoissée et insatisfaite, reflet d'une âme capricieuse et vindicative complètement étouffée par l'infantilisation dans laquelle sa mère le revoie dès qu'il fait montre d'une certaine indépendance d'esprit. La pauvre Ophélie (délicieusement interprétée par une toute jeune Jean Simmons, qui avait à peine 18 ans au moment de ce tournage très exigeant), paiera elle aussi le tribut de son inconstance et de sa faiblesse. 


Jean Simmons dans le rôle d'Ophélie

Hamlet en s'évertuant d'éviter un affrontement direct avec son oncle meurtrier, sème un lot impressionnant de victimes collatérales en plus de cette dernière... Il est tellement plus aisé pour ce personnage indécis de rejeter son amertume et sa colère sur son plus proche entourage plutôt que sur le responsable direct de son malheur... On comprend aisément que bon nombre de psychanalystes se soient penchés sur la "tragédie des tragédies" comme l'avait nommée le psychologue russe Lev Vygotsky, auteur d'un magnifique et éclairant essai de 1915 sur le sujet... Le personnage se prête volontiers à l'analyse d'un certain nombre de névroses, n'est-il pas ?

J'invite donc les plus réfractaires à l'oeuvre de Shakespeare à se pencher sur cette adaptation, qui a su merveilleusement retranscrire la force d'un texte magnétique, dans une atmosphère nimbée d'un esthétisme noir.

Pour terminer, quelques extraits pour donner une idée de l'ambiance et du contexte de cette adaptation emblématique...



Oh, that is too, too solid flesh would melt

To be or not to be, that is the question

Statue commémorant le centenaire de la naissance de Laurence Olivier
dans le rôle le plus emblématique de sa carrière, située sur la rive sud de la Tamise,
à proximité du National Theatre, dont le comédien a été le directeur dans les années 70.
Il est à noter également qu'il est un des rares acteurs à avoir été fait baron,
et honoré à sa mort d'un enterrement en grande pompe
à Westminster en 1989... durant lequel a été joué la bande originale... d'Hamlet. 

05 avril 2016

Hamlet (RSC et BBC) - adaptation télévisée de 2009

D'après l'oeuvre de William Shakespeare, "The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark".

Avec David Tennant (Hamlet), Patrick Stewart (Claudius et le défunt roi), Penny Downie (Gertrude), Oliver Ford Davies (Polonius), Mariah Gale (Ophelia), Peter De Jersey (Horatio), réalisé par Gregory Doran.

***

A la cour de Danemark, on fête le mariage du roi Claudius et la reine Gertrude, le frère et l'épouse du précédent monarque, mort deux mois plus tôt. L'héritier du trône, son fils, Hamlet, voit d'un mauvais oeil ce mariage et souffre en silence de la mort de son père. Une nuit, le spectre du défunt roi lui apparaît sur les remparts du château d'Elseneur et lui apprend qu'il a été assassiné par Claudius. exhortant son fils à la vengeance. Mais Hamlet, aux prises avec les remords de sa mère, son amour pour Ophélie, la fille du grand chambellan, ainsi que ses propres scrupules, tarde à agir...

*** 

Cela ne doit pas faire loin de vingt ans que je suis une adoratrice de cette pièce de Shakespeare, découverte à l'adolescence par le biais de la splendide et emblématique adaptation qu'en a tiré Sir Laurence Olivier en 1948, récompensée par plusieurs oscars, un lion d'or, un bafta, et un golden globe (excusez du peu). De cette oeuvre très expressionniste, filmée en noir et blanc, beaucoup se sont inspirés à divers degrés, et je pense que cette adaptation produite par la BBC et la Royal Shakespeare Company, ne fait pas exception. Difficile de passer outre une adaptation passée au statut de mythe (ce que Kenneth Brannagh a fait de manière tout à fait magistrale en 1996, en adaptant le texte intégral de la pièce), mais je pense que la version télévisée de 2009 dont il est question dans cet article, a parfaitement réussi ce délicat pari. 



La mise en scène, nette mais résolument moderne, conforte l'intemporalité de la pièce et ne gêne en aucun cas le texte. Même si je reste une fervente partisane des pièces à costumes et des adaptations dans une veine plus "historique", j'ai beaucoup aimé cette vision très universelle, qui a l'avantage de remettre la richesse du texte au centre de l'attention du spectateur. Les décors sont dépouillés, se limitant à l'essentiel : les murs et le sol sont tendus de noir, reflets des tourments du personnage principal, et plus généralement de la pesanteur de l'intrigue, qui s'articule autour d'un fratricide, de la trahison et de la folie. Même si on peut reprocher sans doute à la modernité de manquer parfois un peu d'apparat, elle a le mérite de libérer la mise en scène, tout en se devant de conserver un propos forcément très rigide. Ce paradoxe est toutefois très bien traité dans cette version, qui par sa dignité sobre, ne présente pas tant d'incohérences que cela... 

 
David Tennant ; un Hamlet velléitaire, entre drame et bouffonnerie


Venons-en à présent aux acteurs... Comment ne pas citer en premier lieu l'acteur écossais David Tennant, bien connu du grand public pour ses rôles de Doctor Who ou plus récemment de l'inspecteur Alec Hardy dans la magnifique mais néanmoins ténébreuse série Broadchurch ? Un seul mot me vient à l'esprit : brillant ! Un Hamlet tiraillé par des désirs contraires, masquant mal un comportement dont la velléité tend à la fois au drame et à la bouffonnerie. S'il apparaît tout d'abord comme un jeune homme blessé par un deuil qu'on ne lui laisse pas le temps de porter en raison du remariage précipité de sa mère avec son oncle, le spectateur verra progressivement en lui, dès les premières scènes, que cette tristesse affichée n'est que l'émergence d'une colère difficilement contenue.



Lorsque le fantôme de son père lui apparaît - et là, citons Patrick Stewart, campant un merveilleux spectre rageur - Hamlet se voit contraint à agir. A moins que comme cela a souvent été supposé, le spectre ne soit qu'une projection de ses visions mortifères, dominées par un complexe d'Oedipe à son paroxysme, trouvant dans les révélations d'assassinat du spectre, un terrain propice au déchaînement de sa rage... Seulement, le personnage est loin d'adopter un raisonnement aussi clair, aussi tarde-t-il à agir. La vengeance promise est retardée, la compromettant ainsi par des agissements aux effets désastreux. David Tennant a merveilleusement su capter l'essence même de ses questionnements ou plutôt de son absence d'intentions, grâce à un jeu qui oscille perpétuellement entre les extrêmes. Dans une même scène, le personnage peut à la fois faire rire ou inquiéter, passant d'une philosophie grave à la facétie. Le mélange se révèle très efficace et oserait-on le dire, rendrait presque le personnage plus sympathique au spectateur... Cependant, par sa démesure, ou par son égoïsme épouvantable, il entraîne tout ceux qui ont le malheur de l'approcher vers une inéluctable tragédie. Si Hamlet ne cherche initialement qu'à atteindre son oncle, il sèmera tout au long de la pièce un lot impressionnant de victimes collatérales... Il tuera Claudius, quand lui-même sera acculé par sa propre mort.




Le reste du casting n'est pas à négliger, Patrick Stewart en tête, qui dans ce registre classique n'en demeure pas moins terriblement glaçant : le personnage double de Claudius, apparaissant comme un roi digne et intègre, souriant et magnanime, qui se révèle être un assassin manipulateur, usant d'un merveilleux ascendant naturel pour servir des intérêts peu avouables. Au regard de l'interprétation de Patrick Stewart, la citation de l'acte I, scène V, n'a jamais paru aussi juste, lorsque Hamlet dit à son propos :

"O villain, villain, smiling damnèd villain ! 
My tables ! Meet it is I set it down 
That one may smile, and smile, and be a villain.
At least I'm sure it may be so in Denmark.
So uncle, there you are."


Quant à Penny Downie, interprétant Gertrude, on se régale de la justesse de sa bienveillance maternelle et de son désespoir au cours de la scène qui la voit mise au pied du mur, lors de la confrontation avec son fils. J'attendais avec impatience ce passage, sans doute l'un des plus rageurs de la pièce, et forcément révélateur de la qualité des interprétations. On ne peut être résolument déçu par la fièvre avec laquelle les deux comédiens livrent cette scène délicieusement ambiguë.



Quant à Oliver Ford Davies, interprétant Polonius, et Mariah Gale, dans le rôle de sa fille Ophelia, on salue le naturel du premier, dans ses instants de rhétorique et de discours prolixe, et ses apartés du plus bel effet. Quant à la seconde, je regrette un peu le caractère très effacé de l'actrice choisie, même si elle donne à voir une très belle et émouvante scène de folie. On sait combien le personnage d'Ophelia est considéré à juste titre comme particulièrement fragile, personnage au charme diaphane, martyr sacrifié sur l'autel de l'égoïsme et des indécisions répétées d'Hamlet. On peut regretter que la comédienne ne joue malheureusement trop sur le registre de la transparence, même si on peut comprendre dans un sens, ce choix de la mise en scène.

Oliver Ford Davies (Polonius) et Mariah Gale (Ophelia)
Pour conclure, je ne résisterai pas à poster ici la scène emblématique du "To be or not to be", récitée par David Tennant...



Une adaptation universelle, aux comédiens excellents, à voir et à revoir...

  

19 novembre 2014

Et si on allait à l'opéra (4/...) : Carmen (Opernhaus Zürich 2013) - Hamlet (Barcelone 2004)

Carmen,  de Georges Bizet (Opernhaus Zürich - 2013) - avec Vesselina Kasarova, Jonas Kaufmann.

Pitié. C'est le premier mot qui me vient à l'esprit lorsque je repense à cette version de Carmen, sortie il y a quelques semaines. Georges Bizet n'aurait certainement jamais pensé que l'on pouvait faire de son opéra quelque chose d'aussi grotesque. Vraiment. La mise en scène, si elle se veut moderne, est surtout d'un incroyable mauvais goût, et c'est peu dire. Je suis en général assez bon public, et certaines réalisations aux décors post-apocalyptiques passent parfois, envers et contre tout, assez bien. Mais là, décidément; non. La scène vide, uniquement composée d'un fond bleu et d'un plateau aux impressions glaciales, est bien éloignée de la moiteur et de la chaleur empesée des canicules espagnoles, et les acteurs, il faut le reconnaître, ne s'en accommodent guère. Mis à part Kaufmann, qui fait toujours ce qu'il peut, même dans un cadre minimaliste, grâce à cette voix sublime qui ne faillit jamais, n'est pas aussi bouleversant qu'on le voudrait. Grand spécialiste des personnages aux prises avec leurs frustrations et leurs délires névrotiques, malgré un effort visible pour être pris au sérieux, ne trouve aucun réelle grandeur, tant son Don José pitoyable à voir, a été malmené par le metteur-en-scène. Quant aux les autres chanteurs, dont Vesselina Kasarova dans le rôle de Carmen, osons le dire, on se demande bien ce que Don José peut bien lui trouver, avec ses allures de matrone acariâtre...et puis, la voix, tout comme le jeu, n'est pas au rendez-vous. Vraiment, je vous le dis : il faut des nerfs d'acier pour visionner cette version ouvertement clinique et explicite de Carmen sans émettre de rires nerveux. Exploit auquel je ne suis pas parvenue... Pour la finesse, décidément, on repassera.

Hamlet, d'Ambroise Thomas (Gran Teatre del Liceu - Barcelone 2004), avec Natalie Dessay, Simon Keenlyside et Béatrice Uria-Monzon.

L'opéra français m'intrigue. Et c'est dans cet esprit que j'ai entrepris le visionnage de cette version d'Hamlet d'Ambroise Thomas. Et puis aussi un peu (beaucoup) à cause de sa distribution. Keenlyside est avec Thomas Hampson le baryton que j'apprécie le plus, parce qu'il chante aussi bien qu'il ne joue, malgré un répertoire parfois difficile d'accès (Britten, Adès,...). Quant à Natalie Dessay, elle excelle réellement dans tout ce qu'elle entreprend sur une scène d'opéra, et particulièrement dans les scènes de folie, devenues emblématiques dans la palette de ses rôles, de Lucia di Lamermoor à son rôle d'Ophélie. Alors, certes, cet opéra, hors sa scène de folie, jouée et chantée divinement par Dessay, ne comporte pas réellement de grands airs, et l'oeuvre est très encombrée de nombreuses scènes de récitatifs qui la rendent très hermétique. D'autre part, la mise en scène dépouillée, les costumes informes et pas toujours très flatteurs mettent parfois un peu mal à l'aise. La pièce de Shakespeare en elle-même étant déjà un oeuvre très asphyxiante, le spectateur n'est réellement pas aidé. Il faut tout de même préciser que l'adaptation en opéra a été nettement édulcorée par rapport à l'oeuvre originale, ce qui parvient à rendre le personnage d'Hamlet légèrement moins contestable, sans que cela lui ôte toutefois sa velléité légendaire. Cette version, même si elle ne m'a pas séduite entièrement, est certainement incontournable pour la prestation extraordinaire de Natalie Dessay, et pour les scènes de délire et de rage d'Hamlet interprétée par Keenlyside, tout aussi époustouflante vocalement que scéniquement.