Affichage des articles dont le libellé est gothique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est gothique. Afficher tous les articles

13 novembre 2021

Bilan des lectures de septembre à octobre

L'automne n'aura vraiment pas été très riche en lectures, quoiqu'il ressort tout de même de ce panel, deux très bons romans de styles tout à fait différents... 

Mexican Gothic, de Silvia Moreno-Garcia

Naomí Taboada, jeune mondaine qui n'a d'yeux que pour les soirées bon chic bon genre, reçoit une lettre singulière de sa cousine, récemment mariée à un anglais et habitant depuis lors avec sa belle-famille dans leur manoir située dans une région reculée et hostile du Mexique. Les propos décousus de sa cousine, qui se dit malade et la proie d'hallucinations, réclame l'aide de Naomí. Il n'en faut pas plus à cette jeune femme un peu tête brûlée pour faire immédiatement ses bagages. Arrivée dans la sinistre demeure des Doyle, Naomí, que l'on s'empresse d'éloigner de sa cousine souffrante, se retrouve peu à peu assaillie de singuliers cauchemars, qui la poussent, petit à petit à confondre songes et réalité... Aux prises avec l'époux au charme délétère de sa cousine, et le patriarche de la famille qui semble étrangement nourrir pour elle des attentions malsaines, la jeune femme commence à se rendre compte qu'il lui est impossible de partir, comme si le manoir était en train d'étendre sur elle une influence funeste qui l'affaiblit et l'aliène de manière irrémédiable. 
 

Autant commencer ce bilan lectures par mon plus gros coup de coeur de ces dernières semaines ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que le titre de ce roman n'est pas usurpé... Il s'agit effectivement d'un roman gothique moderne, un vrai, avec son lot de cauchemars, de pénombre et de brume, son ambiance poisseuse, et sa panoplie de personnages "bordeline" qui intriguent et révulsent le lecteur tout à la fois.  Si elle est plutôt sans fioritures, la plume de Silvia Moreno-Garcia est pourtant très efficace ! Ce roman est littéralement palpitant et va vous donner quelques sueurs froides très jubilatoires... On y reconnaît tous les ressorts du roman gothique traditionnel, à savoir des jeunes femmes qu'on isole et qu'on manipule, sur fond d'une demeure sinistre, qui empoisonne et rend fou ses occupants... Tout y est, et je n'ai pas boudé mon plaisir !


Le Serpent de l'Essex, de Sarah Perry

Résumé de l'éditeur

"Cora Seaborne, jeune veuve férue de paléontologie, quitte Londres en compagnie de son fils Francis et de sa nourrice Martha pour s'installer à Aldwinter, dans l'Essex, où elle se lie avec le pasteur William Ransome et sa famille. Elle s'intéresse à la rumeur qui met tout le lieu en émoi : le Serpent de l'Essex, monstre marin aux allures de dragon apparu deux siècles plus tôt, aurait-il ressurgi de l'estuaire du Blackwater ? Dans un cadre marqué par une brume traversée d'étranges lumières, Cora Seaborne construit sa liberté."
 

J'avais commencé ce roman il y a quelques années, lors de sa sortie, et il m'était, comme on dit, tombé des mains après une cinquantaine de pages. Ayant appris qu'une adaptation allait en être tirée pour AppleTV, avec Tom Hiddleston à l'affiche, j'ai voulu réviser mon jugement et vérifier, si avec le temps, mon avis aurait évolué. J'ai malheureusement dû constater que j'ai retrouvé exactement le même sentiment de malaise en lisant ce livre, que je me suis contrainte, cette fois, à lire jusqu'au bout, espérant dans ma grande naïveté un revirement de dernière minute, mais il n'en a rien été. Les personnages sont absolument antipathiques et l'histoire sans intérêt... L'idée de base n'est sans doute pas mauvaise, mais comment diable accrocher à un récit qui ne donne à voir que des personnages presque sans affect, et une intrigue qui n'en est finalement pas une ? Je doute vraiment que la sauce puisse prendre dans une adaptation télévisée, mais sait-on jamais, avec des acteurs convaincants et un bon scénariste, tout est possible... ;)


L'Enigme de Catilina, de Steven Saylor

A la veille des élections consulaires, l'enquêteur Gordien, désormais retiré à la campagne avec sa famille, se voit pourtant rattraper par les affaires de Rome et contraint de loger pour quelques temps Lucius Sergius Catilina, ancien lieutenant du dictateur Scylla, et cherchant à briguer le poste de Consul. Alors que ses plus farouches opposants le décrivent comme un être brutal et dégénéré, Gordien découvre avec surprise en Catilina un homme d'un charisme écrasant, pondéré et tranquille, qui ne cache cependant pas ses opinions populistes. Malgré son ancienne loyauté à Cicéron, Gordien se lie d'amitié avec Catilina. Lorsque l'enquêteur découvre un cadavre sur son domaine, il pense  être devenu la cible de ténébreuses pressions politiques...

Voilà l'un des très rares romans qui existent sur l'une des conspirations les plus emblématiques de l'Antiquité, à savoir la Conjuration de Catilina, bien connue grâce aux fameux Catilinaires de Cicéron, alors Consul de la République Romaine sur le déclin. Ces discours reprennent les allocutions du politicien, s'adressant au Sénat, et révélant une gigantesque conspiration initiée par Catilina, à qui l'on reproche, outre des opinions politiques assez dangereuses, plusieurs tentatives d'assassinat sur des sénateurs et sur la personne du Consul... Après avoir quitté Rome, Catilina constitue une armée pour renverser le Sénat, mais est défait en Etrurie, où il meurt sur le champ de bataille. 

C'est après avoir relu plutôt par hasard les Catilinaires dans leur intégralité, que je me suis intéressée de plus près au personnage qui les ont inspirés, à savoir Lucius Sergius Catilina, dont on sait, in fine, très peu de choses. Les discours de Cicéron sont tellement peu objectifs que l'on peine réellement à y démêler le vrai du faux... Connaissant le goût immodéré des sénateurs de l'Antiquité pour monter des conspirations de toutes pièces afin de détricoter la réputation de quelques opposants politiques (voir le scandale de l'assassinat des frères Gracques, encore bien plus connu que l'affaire Catilina), il est toujours intéressant de peser le pour et le contre dans ces scandales vieux de plus de deux mille ans... Si Catilina était effectivement un ancien bras droit de Scylla, reconnu pour quelques histoires pas très glorieuses touchant sa vie privée, force est de constater que Catilina n'était probablement pas le monstre assoiffé de sang que Cicéron décrit, mais un ambitieux parmi d'autres, qui s'opposait violemment au Consul en raison d'opinions politiques très tranchées en terme de partages de biens... Ces avis populistes étaient, on s'en doute, assez peu de bon ton dans une assemblée de patriciens très attachés à leurs richesses... 

Le récit de Steven Saylor, qui s'insère dans la série des enquêtes de son personnage récurent, Gordien, a le mérite de mettre en balance l'image véhiculée par les Catilinaires et la réalité historique, en présentant un Catilina, qui, s'il n'est certainement pas blanc comme neige, se révèle suffisamment fin et intriguant pour rendre cohérent le contexte réel, et mieux comprendre que la vérité se trouve toujours dans un entre-deux. A cheval entre l'intrigue politique et l'enquête criminelle, L'énigme de Catilina ravit par son brillant esprit et son ambiance délicieusement vivante...

A suivre...


13 août 2021

The Bride (La promise) - 1984

The Bride (La Promise) - 1985 - Réal. : Franc Roddam

Avec Sting (Dr Frankenstein), Jennifer Beals (Eva), Clancy Brown (la Créature), David Rappaport (Rinaldo),...

D'après le roman de Mary Shelley, et le film de James Whale "La fiancée de Frankenstein".

Après avoir créé un monstre, le Dr Frankenstein s'ingénie à lui concevoir une compagne, qu'il prénomme Eva. A son réveil, celle-ci, terrorisée par l'apparence de son "fiancé", le fait fuir. La créature erre alors sur les routes et finit par être engagé dans un cirque, tandis qu'Eva, demeurée chez le scientifique qui lui a donné vie, et qu'il fait passer pour sa pupille, souhaite désespérément savoir d'où elle vient...

J'ignorais jusqu'à très récemment que Sting avait un jour campé le Dr Frankenstein dans une adaptation très "eighties" de l'histoire imaginée par Mary Shelley, et c'est ce qui m'a tout bêtement décidée à me lancer dans ce visionnage plutôt improbable. Plusieurs semaines après avoir visionné ce film, je ne sais toujours pas exactement dans quelle catégorie le ranger... Fantasy ? Horreur ? Fantastique ? Romance ? Impossible de le dire, car il s'agit à dire vrai d'un mélange assez étonnant de tout cela, pour ne pas dire franchement invraisemblable. Une chose est certaine, c'est que ce mélange de genres donne un écho résolument gothique au résultat, qui peut paraître de ce fait un peu brouillon. Mais on n'est finalement pas si éloigné que ça d'une ambiance à la Ann Radcliffe, ou à la Matthew G. Lewis. On lorgne clairement du côté des châteaux hantés, des cimetières plongés dans la brume et dans les caveaux humides envahis de chauve-souris... Au niveau ambiance glauque et fiévreuse, le film remplit très bien sa mission, en présentant une héroïne évanescente, résolument intelligente, mais trop innocente et sensible pour canaliser la psychologie trouble du Dr Frankenstein. Si au départ, celui-ci semble résolu à "façonner" l'esprit d'Eva comme bon lui semble, le personnage se révèle empreint d'un tel magnétisme mauvais, avec ses poses énigmatiques et ses silences funestes, qu'ils donnent à voir un aspect plutôt toxique de sa personne et de ses motivations. Comme quoi, le monstre n'est pas toujours celui qu'on pense... 

Sting (Charles (?) Frankenstein)et Jennifer Beals (Eva), dans une ambiance teintée d'une magnifique romantisme noir 
 
Le film alterne les scènes réunissant Eva et le Dr Frankenstein, et celles suivant les pérégrinations du monstre, "le vrai", confronté à la cruauté du monde. Les premières foisonnent de clichés gothiques qui lorgnent donc du côté de l'ombre (que j'adore et que je ne vais vraiment pas bouder), tandis que les secondes frayent avec la lumière, et donnent un ensemble assez hétéroclite au résultat, donc la fin apparaît tout de même un peu comme un gros pavé jeté dans la mare, avec son ton un peu convenu. A vrai dire, au sortir du film, on se retrouve un peu comme en flottement, avec un sentiment à la fois de malaise et d'incertitude, qui m'a rappelée un peu mon sentiment post-visionnage du Moine de Dominik Moll... Il est certain que The Bride est aussi un peu le reflet des films de fantasy en vogue dans cette décennie, et donne à voir de très bons visuels et de solides idées, mais dans sur un ton sans cesse fluctuant qui fait que malgré sa bonne volonté, le film s'égare quelque peu, sans pouvoir jamais se fixer. Du reste, impossible de bouder Sting dans ce rôle de scientifique et penseur inquiétant, véritable icône d'une certaine forme de romantisme noir. 

Sting (le Dr Frankenstein)



03 janvier 2020

L'étrange cas du Dr Jekyll & de Mr Hyde, de Robert Louis Stevenson


Henry Jekyll, honorable médecin londonien, poursuit des recherches sur le dédoublement de personnalité, et s'évertue à mettre au point une drogue qui permettrait de scinder son âme en deux. Lorsqu'un certain Edward Hyde, personnage difforme et inquiétant, apparaît en lieu et place du docteur Jekyll, ses amis les plus proches sont plongés dans l'effroi...

**

J'ai lu cette courte oeuvre de Stevenson pour la première fois il n'y a pas loin de vingt ans, et avais gardé de ma lecture le sentiment d'un certain malaise. Si le roman n'excède pas les 150 pages, il n'en est, en effet, pas moins très efficace : l'auteur, avec The strange case of Dr Jekyll & Mr Hyde, a créé l'histoire de dédoublement de personnalité la plus emblématique mais aussi la plus passionnante de la littérature. Celle-ci a bien entendu subi au fil du temps, comme tous les grands mythes littéraires, pas mal d'adaptations, et donc de digressions, sur lesquelles je m'attarderai un peu plus loin.

Comme certains d'entre vous le savent certainement, le double personnage de Jekyll/Hyde (Le verbe "hide" signifiant "cacher", en anglais) trouverait son origine dans un cauchemar qu'aurait fait Stevenson. Son épouse, Fanny, raconta plus tard la scène suivante :

"In the small hours of one morning,[...] I was awakened by cries of horror from Louis. Thinking he had a nightmare, I awakened him. He said angrily: "Why did you wake me? I was dreaming a fine bogey tale." I had awakened him at the first transformation scene."
Stevenson se passionnait depuis plusieurs années pour les histoires de doubles identités ou de ce que l'on appellerait plus communément aujourd'hui, de schizophrénie. Il invente donc le personnage de Jekyll, personnage de médecin dans la cinquantaine, respectable et de fort bonne réputation, quoiqu'aux idées quelque peu fantasques. Dans mon souvenir, j'avais conservé du Dr Jekyll cette image seulement, occultant tout à fait les révélations du dernier chapitre. Mon idée s'est sans doute trouvé déformée par les quelques adaptations que j'ai pu voir ensuite, et qui presque sans exception, véhiculent cette idée que Jekyll est un brave type, passionné par la complexité du psychisme, et  qui, souhaitant étayer ses théories, ne trouve rien de mieux à faire que de les tester sur lui-même. Mal lui en a pris, puisque au fil du temps, Jekyll, qui croit maîtriser l'apparition de son double, Edward Hyde, se retrouve pourtant très vite à être dans la totale incapacité à la contenir. A dire vrai, dans les premiers chapitres du roman, on penche clairement pour cette image de savant fou, dont les expériences deviennent rapidement incontrôlables. Et cependant, à la relecture, j'ai été très étonnée du ton de la confession d'Henry Jekyll. J'ai vu apparaître dans plusieurs critiques - et je le pensais d'ailleurs moi-même avant d'entamer cette seconde lecture de l'oeuvre - que le Dr Jekyll était un personnage charitable et altruiste. Voire même qu'il oeuvrait presque à soigner les malades mentaux, en tout cas c'est ce que certaines adaptations ont choisi de montrer. Mais que nenni...! Jekyll n'oeuvre qu'à se sauver lui-même, mais pas dans le sens où on pourrait l'entendre. Il a, au contraire, parfaitement conscience qu'il doit vivre depuis toujours avec une nature double, une bonne, qu'il montre faussement le jour  (l'auteur parle d'une "philanthropie ostentatoire", soulignant l'hypocrisie de son comportement), et une autre, qu'il cache à tous et qui lui fait honte. De cette autre nature et de ces vices présumés, nous n'avons guère de détails, et l'auteur ne semble pas vouloir en faire mention, sinon par les actes crapuleux de Hyde. Clairement, Jekyll souligne qu'il effectue des recherches afin de séparer ses deux personnalités, pour en quelque sorte "lâcher la bride" à sa mauvaise part...

"[...] Rapidement, avant que mes travaux m'eussent suggéré la possibilité d'un tel prodige, je m'habituais à l'idée, tout d'abord vague comme un songe, de dissocier mes deux individualités. Si chacune d'elles me disais-je, pouvait loger dans une gaine distincte, la vie deviendrait à la fois plus intense et plus simple. Le méchant serait débarrassé de ce qui le paralyse, remords, crainte, tandis que le bon, délivré de l'appel de ses instincts, se consacrant exclusivement à l'accomplissement de nobles buts, réussirait là où il échoue d'habitude."
"[...] Dès la première seconde de ma métamorphose, je compris que mon nouveau personnage était foncièrement mauvais. Tout le mal accumulé dans mon passé affluait... Or cette idée, loin de me contrarier, m'exaltait comme un vin généreux."
Soyons honnêtes, il n'y a pas grand chose de philanthropique là-dedans. Le fait est que Jekyll vit avec l'individualité de Hyde depuis toujours, mais qu'il ne supporte pas de savoir qu'elle existe. Si le docteur avait été un personnage profondément bon, l'idée de lâcher un monstre dans la nature n'aurait probablement pas dû l'effleurer... Autre point très étonnant, Jekyll dans un premier temps, s'inquiète peu des actes perpétrés sous la personnalité de Hyde. Il en tire même une obscure satisfaction.

"Jadis, les puissants de ce monde se servaient de spadassins pour tuer sans perdre leur honorabilité. Je pus me donner à moi-même le plaisir de tuer sans perdre l'honneur. [...] Sous cette sorte de déguisement, je savourai des plaisirs qui eussent discréditer un gentleman."   
Je dois dire que c'est sans doute cet extrait en particulier qui m'a fait réviser mon jugement au sujet de la personnalité de Jekyll, qui se sert donc ouvertement de Hyde pour satisfaire la part peu recommandable de sa nature, ou régler ses comptes avec la société.  Magré tout, Jekyll s'en défend, appelle à la clémence, en se justifiant de manière très contestable. Il s'évertue donc à rejeter uniquement la faute sur cette version sombre de lui-même, comme si les remords ne l'effleuraient qu'à peine, oubliant presque qu'il est le seul responsable de la "libération" du monstre. Les enfants et les vieillards tabassés, les meurtres de sang-froid, ne le touchent d'abord que parce qu'ils pourraient entacher sa réputation. L'horreur des faits lui apparaît malgré tout assez tardivement, et surtout parce qu'il finit par ne plus rien maîtriser, comme si Hyde, ce personnage boiteux et inquiétant, commençait à mener une vie indépendante, cherchant à menacer la sienne...

Le personnage de Jekyll, finissant par être volontiers éclipsé par celui de Hyde, est donc beaucoup plus contestable et ambigu que ne le suggère la plupart des adaptations, ou tout simplement, que l'image véhiculée par l'inconscient collectif... Cette relecture a donc été pour moi l'occasion de découvrir le personnage sous un nouveau jour, mais aussi de rappeler à mon bon souvenir certaines adaptations que j'avais énormément appréciées en leur temps. Il me serait très difficile d'évoquer toutes les versios, car il en existe, comme pour la plupart des grands mythes littéraires, un nombre incalculable, et qu'elles sont très loin d'être de qualité égale.

Cependant, parmi les plus fameuses, mais aussi les plus récentes, il me serait impossible de ne pas citer Jekyll, de Steven Moffat, et réalisée pour la BBC. Cette mini-série de 2009, avec dans le rôle principal, le très inquiétant James Nesbitt (mieux connu aujourd'hui pour ses rôles dans Le Hobbit, ou la série Lucky man), est une adaptation moderne du roman de Stevenson, un peu à l'image de la série Sherlock, du même Steven Moffat. Cette version présente la vie du Dr Tom Jackman, un brave type, marié et père de deux enfants, aux prises avec une double personnalité sanguinaire, qu'il tâche tant bien que mal de maîtriser et de dissimuler à son entourage. Cette série était particulièrement sanglante, mais extrêmement bien écrite. Il s'agit d'une complète réécriture du Dr Jekyll & Mr Hyde, bien entendu, un peu à l'image de la toute récente adaptation de Dracula, de Moffat et Gatiss, avec un scénario solide, et un second degré tout à fait jubilatoire - le personnage de Hyde étant un psychopathe patenté, mais avec une magnifique dose de dérision. La résolution du "mystère" du dédoublement de la personnalité de Jekyll m'avait énormément emballée, et je ne peux que conseiller cette adaptation, qui vaut aussi le détour pour le tour de force de James Nesbitt dans ce rôle à deux faces ...

Jekyll, série de Steven Moffat (2009)


Une autre adaptation, si l'on peut dire, est également une réécriture, d'abord sous la forme d'un récit "apocryphe" dirais-je, intitulé "Mary Reilly", de Valérie Martin. J'en suis justement venue à lire le roman de Stevenson pour la première fois, parce que j'avais découvert peu de temps avant le film éponyme qu'en a tiré Stephen Frears en 1996, avec au casting Julia Roberts et John Malkovich.
L'histoire, en quelques mots : Mary Reilly est le nom de la narratrice de ce roman, qui est une humble et jeune employée de maison chez le Dr Jekyll, qui assiste, impuissante, à l'arrivée tonitruante et sanglante d'Edward Hyde dans son quotidien...

A nouveau, il s'agit là d'une relecture assez violente de l'histoire (les détails gores ne sont pas épargnés au lecteur), mais vraiment très intéressante, justement parce qu'elle cherche à combler les vides laissés par Stevenson dans son récit original. Le fait que celle-ci se base sur les observations d'une servante, qui a elle-même connu son lot de violences dans son enfance, permet d'apporter un regard neuf sur l'histoire. Ce personnage a d'ailleurs une très belle consistance, partagé entre son rôle de domestique timide, et dévouée entièrement à Jekyll, et les méfaits sordides de Hyde qu'elle se met en devoir de cacher avec une ambiguïté splendide. A vrai dire, le livre, comme le film d'ailleurs, possède un beau degré de profondeur, et donne à voir une très belle ambivalence, non seulement chez le Jekyll/Hyde de Malkovich, mais aussi chez ce nouveau personnage de Mary, campé avec beaucoup de pudeur et de finesse par Julia Roberts.



Julia Roberts (Mary Reilly) et John Malkovich (Edward Hyde)

Autre adaptation, autre cadre, avec la comédie musicale de Frank Wildhorn, écrite en 1995, que j'ai découverte il y a quelques semaines, et qui m'a suffisamment intriguée pour que j'ai envie de me plonger à nouveau dans le roman. Celle-ci a pris le parti de présenter le bon docteur comme un homme plein de bon sens et d'abnégation. Pour preuve, ses recherches portent plus sur les maladies mentales, dont semble atteint son propre père, plutôt que sur la libération de ses mauvais instincts... Disons que cela enlève tout de même une part non négligeable de l'égoïsme monstrueux du personnage original... Privé de subventions et d'accords de l'académie de médecine pour passer à une phase de test sur un sujet humain, le Jekyll de cette adaptation finit par tester la drogue qu'il a mis au point  sur lui-même. (Seul dans son labo. En pleine nuit. La veille de son mariage. Vraiment une idée brillante, pour le coup...) Disons qu'on le comprend plus comme une expérience qui tourne mal, que comme à une volonté réelle de créer un monstre pour éprouver une théorie. Transformé en un Hyde incontrôlable, le personnage va donc se venger sur tous ceux qui ont, de près ou de loin, causé du tort à Jekyll... Cette vision des faits est relativement intéressante, puisqu'elle leur trouve une origine, et donne une certaine cohérence à l'ensemble. La comédie musicale ajoute, à l'image de certaines autres adaptations, une certaine dose d'intrigue amoureuse, puisque d'une part, le Dr Jekyll est fiancé, et que  de l'autre, Hyde développe une obsession tout à fait malsaine pour Lucy, une chanteuse de cabaret que son double a rencontré et avec laquelle celui-ci s'était lié d'amitié, à travers laquelle Hyde se met à détester profondément son alter ego... Deux éléments bien évidemment absents de l'intrigue d'origine. A bien des égards, la comédie musicale est tout à fait charmante, et offre une nouvelle perspective sur les motivations de Jekyll, en atténuant l'aspect "meurtres crapuleux" des actes de Hyde. Il va sans dire que c'est probablement la relation toxique entre Hyde et Lucy qui suscite le plus d'intérêt dans cette oeuvre injustement méconnue. 

Lucy et Hyde (ici dans la version de la King's Academy, à regarder sur youtube)

J'ai également eu l'occasion de visionner il y a peu l'unique saison de la série britannique Jekyll & Hyde, datant de 2015 et diffusée sur ITV. Cette série, transposée dans le Londres des années 30 et suivant le petit-fils du Dr Jekyll original, est malheureusement plus un réchauffé de "La Ligue des gentlemen extraordinaires" qu'une nouvelle exploration du mythe littéraire. Un bon divertissement, qui vaut le détour sans doute pour les quelques répliques cinglantes et cabotines de Tom Bateman dans son rôle de Hyde, mais sans plus malheureusement, tant il s'éloigne des fondamentaux.


Tom Bateman dans le double rôle de Hyde et de Jekyll (série ITV 2015)
**

Un mythe littéraire, qui à l'image de Sherlock Holmes, Dracula et d'autres, a subi beaucoup d'adaptations et de digressions, mais qui demeure toujours aussi nimbé de mystères qu'à l'époque de sa création... 

More to come... 

19 juillet 2012

Désir de mort, de Joseph Sheridan Le Fanu



Titre original : The Tenants of Malory

Entre les murs de la belle demeure de Malory, Ethel Ware vit une existence heureuse et protégée, entourée de sa soeur Helen, de leur gouvernante et d'un sage jésuite, qui veille à leur éducation et à leur confort.

Lorsque Helen meurt brutalement, Ethel se trouve plus seule que jamais, éloignée de ses parents qui mènent grand train à la capitale, et qui se soucient visiblement peu de ses états d'âme.
Lorsqu'un navire échoue sur la côte, non loin du domaine, et que le seul survivant lui est confié, la vie d'Ethel va se retrouver peu à peu bouleversée.

 ***

En tentant de rédiger un résumé concis du roman de Le Fanu, force est de constater que la tâche est plutôt difficile. Expliquons-nous : l'oeuvre, malgré qu'elle ait été rédigée bien après le courant gothique anglais (en 1867, pour être précis), en porte tous les signes visibles, tant dans son cadre que dans les caractéristiques de ses personnages principaux ; manoir isolé dans une campagne d'une effrayante quiétude, éléments déchaînés, le tout nimbé dans l'insondable brouillard d'une intrigue dont on ignore vraisemblablement le but : tout est là pour nous rappeler au bon souvenir d'Ann Radcliffe, Maturin, Walpole, voire même Matthew Lewis. Les éléments propices à susciter la terreur et l'angoisse du lecteur ont été rassemblés dans de justes proportions, sans tomber dans les excès des gothiques primitifs, et sans toutefois se rapprocher trop visiblement du "néogothique" initié par le  Dracula de Bram Stoker, qui a d'ailleurs été largement inspiré par Carmilla de ce même Le Fanu. Le plus étonnant à mon sens dans ce roman est probablement la narration à la première personne : l'auteur fait parler ici Ethel Ware, à l'automne de sa vie et revenant sur les évènements dramatiques qui l'ont jalonnée. Et malgré toute la difficulté que l'on imagine pour un auteur masculin à se glisser dans la narration féminine avec quelque succès (l'inverse est également parfaitement vrai), il faut reconnaître que Le Fanu y a excellé, alors que je m'attendais à certaines maladresses. On pourrait presque croire que l'esprit de Jane Austen s'est glissé quelque part dans le style de l'auteur, et que l'ombre de Northanger Abbey plane nettement sur Désir de mort... Il faut donc reconnaître immédiatement une écriture toute en finesse et en pudeur, même si finalement l'ironie austenienne s'en est allée bien loin de ce roman. On retrouve donc là les éléments caractéristiques du style gothique dans leur sens le plus absolu, notamment l'omniprésence de la maladie et de la mort, tels deux fléaux qui rôdent dans l'ombre des protagonistes, et qui emportent avec une brutalité terrifiante les âmes pures et innocentes. Seuls demeurent les personnages sombres, résistant à l'adversité et aux attaques du destin avec une résolution défiant toute logique... (les méchants ont la dent dure en littérature, c'est bien connu, et c'en est assez jubilatoire, avouons-le) ! Dans ce registre, on trouvera le singulier Mr Drocqville, le jésuite corrompu, inquiétant et cupide, qui rôde autour des grandes fortunes et des héritages comme un vautour autour de son  horrible pitance, et qui n'est sans doute pas étranger à la création par Wilkie Collins, quelques années plus tard, du Père Benwell de la Robe Noire. Puis, on trouvera enfin Richard Marston, l'unique survivant du naufrage qui survient à Malory, et qui parvient assez extraordinairement à se faire aimer de la narratrice... Là encore, on reconnaît "la patte" gothique, qui veut que les faibles héroïnes se trouvent subitement à la merci, et quasiment par leur volonté propre, de personnages retors, mais suffisamment charismatiques et énigmatiques pour qu'ils parviennent à susciter jusqu'à la dernière ligne l'intérêt tout entier du lecteur.
D'ailleurs, signalons que le roman, plutôt court (360 pages grand format environ), passe sous silence des pans entiers de psychologie de ses personnages les plus notables, alors qu'ils auraient volontiers mérité quelque dissertation. C'est sur ce point que se portera mon plus grand regret : ce fameux Richard Marston que l'on voit agir, et manipuler dans l'ombre pendant des centaines de pages, sous des dehors tour à tour humbles ou séduisants, finit par toucher dans les cinq dernières minutes de lecture. Alors bien sûr, inutile d'espérer une quelconque absolution de la part du lecteur - car décidément, il en a trop fait ! - mais on constate avec bonheur un délicieux retournement qui laisse entrevoir toute la folie malfaisante du personnage,  et pourquoi pas, la possibilité d'une expiation ? On ne peut que saluer et refermer avec regret ce délicieux roman, cette heureuse parenthèse de littérature aujourd'hui disparue, et si prompte à susciter les sentiments les plus extrêmes de ses lecteurs angoissés !