
RésuméDenise Baudu, accompagnée de ses deux frères, arrive à Paris, dans l’espoir de trouver un travail chez leur oncle, propriétaire d’un petit commerce. Cependant, la boutique de l’oncle Baudu, comme toutes les autres du quartier, ne se portent pas bien et doivent fermer leurs portes les unes après les autres, en raison de l’installation dans le voisinage, d’un grand magasin, un temple du commerce moderne, Au Bonheur des Dames.
Denise se voit dans l’obligation de prendre une place de vendeuse au Bonheur, où elle passe les heures les plus pénibles de sa vie. Le travail est difficile, ingrat, et ses appointements ne suffisent guère à subvenir aux besoins de la petite famille qu’elle entretient. C’est sans compter les malveillances, les jalousies et les commérages des autres employés du Bonheur. Le directeur de cet établissement aux allures de grande industrie, Octave Mouret, est un jeune homme volage, ambitieux, intriguant et manipulateur. Cependant, malgré son tempérament intraitable et calculateur, Mouret se prend subitement d’affection pour Denise, affection qui grandit involontairement, d’une façon incontrôlable, tandis que la jeune fille, brebis vertueuse dans cet univers sans mercis, voit venir avec douleur la déchéance de toutes les maisons du quartier, écrasées par le succès du Bonheur, broyées sans pitié par les engrenages de sa croissance sans limites.
Mon avisAu Bonheur des Dames est sans doute le roman le moins noir de la série des Rougon-Maquart d’Emile Zola, sans doute, parce qu’il a une fin plus heureuse que les autres. Pourtant, il est indéniable qu’il a son lot de douleurs, de larmes, d’injustices. On se trouve d’abord dans l’esprit de Denise, jeune fille naïve, innocente, pleine de bonté, lâchée au milieu de cet univers impitoyable, peuplée de gens ambitieux et sans pitié. C’est par elle qu’on apprend à connaître ce monde terrible où elle est contrainte de s’intégrer, bon gré, mal gré, afin de pouvoir subsister. Dans un premier temps, elle ne parvient pas à trouver sa place dans cette machine bien huilée qu’a créé Mouret. Sans l’affection qu’il lui porte immédiatement, Denise n’aurait d’ailleurs jamais trouvé sa place au Bonheur.
Dans un second temps, le lecteur accompagne Mouret dans ses frasques, ses manipulations, mais aussi ses coups de génie, ses prévisions commerciales miraculeuses. C’est cependant grâce à la Femme, grâce à ses envies, ses coquetteries, ses frivolités qu’il battit tout son empire. Et c’est pour cette raison qu’il la tient dans un grand mépris. Il se sert de la Femme pour obtenir des millions, il profite de ses faiblesses, il les exploite, il les foule au pied. Mouret s’est juré de ne jamais aimer et de dédaigner toutes les femmes. Cependant, Denise, petite jeune fille simple, sans le sou, sans beauté particulière, chamboule tout dans le cœur du volage Mouret. C’est justement cette bonté non déguisée, cette franchise enfantine qui fascine le jeune homme et qui le met au pied du mur. Quand celui-ci daigne lui témoigner son affection, en agissant comme il a toujours agi avec toutes les femmes, Denise lui oppose un refus digne et simple qui bouleverse Mouret. Pendant des semaines, des mois, Denise refuse tout de lui, bien que sa tendresse pour cet homme tout-puissant soit depuis le premier jour une certitude dans son cœur. Mais dans sa dignité virginale, Denise s’obstine, croyant que Mouret se moquerait d’elle, comme de toutes les autres. La douce résistance qu’elle lui oppose ne fait qu’exacerber les sentiments du jeune homme, d’abord irrité, menaçant, terrible dans cette colère sournoise qu’il ne peut épancher. Puis, Denise le ramène à la raison, avec la délicatesse, la bonté dont elle enveloppe tout ceux qui l’approchent. La petite vendeuse grimpe les échelons du magasin, devenant d’un précieux conseil pour Mouret, mettant en marche plusieurs innovations sociales pour le personnel… Mais finira-t-elle par céder à son cœur, en dépit des malheurs qui s’abattent sur la maison de son oncle, rongée, écrasée, par la Bonheur ? C’est une question que je laisse en suspens pour tous les lecteurs potentiels…
Oui, Au Bonheur des Dames est avant tout un roman social, mais les sentiments le peuplent de la première à la dernière ligne. Et on en ressort profondément bouleversé. En refermant le roman, on se sent complètement orphelins, tant le style de Zola est précis, poignant, tant les personnages paraissent faire partie de notre quotidien. On est touchés par les malheurs des uns, la réussite des autres.
Mais il faut aussi reconnaître Zola, incroyablement documenté, et visionnaire comme toujours, sur l’avenir social de notre monde.
Le Bonheur des Dames, le 11e roman de la saga des Rougon-Maquart,
va être prochainement adapté par la BBC, dans le cadre d’un téléfilm.
On pourrait souhaiter aussi que les splendides adaptations produites par cette chaîne s’atèle à la réalisation de la Faute de l’Abbé Mouret, également un merveilleux roman de la série, qui narre l’histoire du frère d’Octave, l’abbé Serge Mouret.