19 août 2016

Count Dracula (BBC 1977)

Count Dracula, minisérie de 2 épisodes de 1h15 de Philip Saville (1977)
D'après le roman de Bram Stoker.

Avec Louis Jourdan (Dracula), Frank Finlay (Abraham Van Helsing), Bosco Hogan (Jonathan Harker), Susan Penhaligon (Lucy Westenra), Judi Bowker (Mina Westenra), Mark Burns (Dr Seward), Jack Shepherd (Renfield)...

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Au cours de mes pérégrinations transylvaines de ces derniers mois, j'ai eu l'occasion - et la curiosité - de visionner un certain nombre d'adaptations du roman emblématique de Bram Stoker. Qu'on se le dise : la plupart sont loin d'être réussies, pour ne pas dire qu'elles frôlent bien souvent la farce de mauvais goût. Le registre du film de vampires se prête malheureusement plutôt bien à la réalisation de nanars purs jus... Il existe cependant des adaptations assez honnêtes, comme celle de 1979, avec Frank Langella et Laurence Olivier (conseillé par Gabriel), follement romantique et échevelée, mais malgré tout assez éloignée du roman, puisqu'il s'agit plus d'une adaptation de la pièce d'Hamilton Deane, écrite dans les années vingt, que de l'oeuvre originale. Ensuite, on ne peut pas passer outre la version réalisée par Coppola, avec Gary Oldman et Winona Ryder, qui malgré son appelation de "Bram Stoker's Dracula", est tout de même très éloignée du roman, puisqu'elle choisit de présenter le personnage comme un amant malheureux, qui traîne sa mélancolie et sa haine pour la religion au fil de siècles inchangés...Ces deux adaptations, toutes marquantes qu'elles soient, ont un désastreux point commun : Dracula y est présenté comme un personnage romantique, presque byronien, où la trame de fond demeure une histoire d'amour passionnée, empêchée, contrariée. Et disons-le, même si cela fait très joli sur pellicule, et que cela fasse volontiers fondre tous les coeurs de midinettes, ce n'est tout simplement pas le roman de Stoker. Dracula, que l'on voit finalement très peu dans le récit original, est un vampire, un monstre. Et à ce titre, il n'a pas de remords, pas de conscience, pas d'âme, et certainement plus de sentiments qui puissent le rattacher d'une quelconque manière à son ancienne part d'humanité. Il se nourrit, il prend, il tue. Il agit par nécessité, par besoin. Il peut être personnage raffiné, charmant, troublant, mais ne l'est-il pas dans le seul but d'assouvir une soif qui relève d'un instinct de survie purement animal ? 
Cet aspect m'avait semblé très bien exploité, malgré d'incontournables défauts, dans l'adaptation de 1931 de Ted Browning (pour l'article, c'est par ici), où le Dracula de Béla Lugosi demeure globalement un monstre à la fascinante froideur, mais un monstre tout de même...

Béla Lugosi : la quintessence de la fascination délétère

Même si je pensais qu'aucune autre incarnation de Dracula ne viendrait concurrencer celle de Béla Lugosi dans mon panthéon, j'ai du sérieusement revoir mon jugement après avoir découvert tout à fait par hasard la version produite par la BBC en 1977 et réalisée par Philip Saville. Après avoir lu plusieurs avis sur la toile sur cette fameuse adaptation télévisée, j'avais pu me rendre compte qu'elle paraissait être très fidèle au matériau de base. Et elle l'est ! C'est l'une des rares versions que j'ai pu voir qui n'ait pas passé l'histoire à la moulinette, et qui est parvenu à retranscrire l'ambiance et l'essence même de son personnage central sans tomber dans de lamentables travers. A l'image de l'adaptation de 1931, qui n'aura décidément jamais d'équivalent esthétique, elle est visuellement très sobre, mais très sombre aussi : la faute à la qualité vidéo de l'époque des productions de la BBC, pas toujours très regardantes sur l'éclairage... Mais disons qu'ici, cela n'est guère gênant. Au contraire, cela lui confère même un style tout à fait asphyxiant qui n'est pas complètement étranger à l'efficacité narrative de cette minisérie. La réalisation est lugubre, inquiétante, joue avec les ombres et le brouillard. Tout n'y est que bruine et poussière, tout n'y est que grincements, craquements, hurlements de bêtes. On suffoquerait presque au même titre que le pauvre Jonathan Harker... Ajoutons à cela  que ce téléfilm en deux parties bénéficie de quelques extérieurs intéressants, puisqu'il a été tourné pour une grande partie dans la véritable ville de Whitby, qui sert de théâtre à l'arrivée dramatique du Déméter, la goélette en perdition qui amène le comte Dracula en Angleterre, mais aussi de quelques plans nocturnes dans le cimetière mythique de Highgate.

Ombres, brume et poussière... 
La côte et le cimetière de Whitby, dans le Yorkshire, qui a servi d'inspiration et de cadre au roman de Bram Stoker
Les effets spéciaux - si on peut du moins leur donner ce nom - sont simplissimes, visuellement un peu dépassés, certes, mais moins grand-guignolesques que certains autres vus dans des adaptations plus récentes et surtout plus renommées. C'est en ce sens que cette adaptation de 1977 évoque à bien des égards celle de 1931, qui jouait sur la suggestion pour mieux contourner la redoutable censure du Code Hays, la rendant de ce fait diaboliquement efficace et intelligente. Il y a une sobriété, une dignité, une mesure,  dans cette adaptation de Philip Saville, qui lui a permis d'éviter les écueils, et de demeurer conforme à l'esprit de Stoker. Si elle se révèle fidèle , elle a néanmoins modifié quelques aspects de l'histoire originale, en transformant Mina et Lucy en deux soeurs, et non plus en deux amies d'enfance, rendant ainsi la disparition de l'une mille fois plus déchirante et cruelle à l'autre qu'elle ne l'était dans le roman. Le personnage d'Arthur Holmwood passe à la trappe, Lucy devenant ainsi la fiancée de Quincey Morris. Finalement, il ne s'agit là que d'altérations mineures (même si elles ont certaines implications inévitables sur la trame), par rapport à certains autres cataclysmes scénaristiques vus ailleurs...

Ensuite, cette adaptation ne serait sans doute rien sans ses acteurs tout à fait fameux. Les deux personnages féminins centraux sont extrêmement attachants, et les deux comédiennes, qui m'étaient pour ma part complètement inconnues, donnent à leur personnage une innocence et une fragilité  délicieusement victoriennes. Elles se positionnent comme deux véritables victimes, sans pour autant incarner des personnages monocordes.

Lucy, première victime du comte à Whitby

Lucy (Susan Penhaligon) est jeune femme joviale, espiègle, pleine d'énergie, tandis que sa cadette Mina (Judi Bowker) apparaît comme une véritable figure romantique. Avec son apparence juvénile, douce, fragile, elle offre un contraste saisissant avec le Dracula au charme sinistre de Louis Jourdan, sur lequel je reviendrai un peu plus loin. Celle-ci n'est pas loin de faire penser aux femmes-enfants chères à Gaston Leroux, victimes indissociables de bourreaux retors, pour lesquels elles nourrissent des sentiments assez contradictoires.


Mina, fragile et délicate créature, victime collatérale de la chasse au vampire orchestrée par Van Helsing...

On retrouve également Frank Finlay, grand personnage du théâtre anglais, campant un Van Helsing bien plus sympathique que celui du roman, qui incarne dans cette adaptation une véritable figure paternelle pour Lucy, ensuite pour Mina. Il est un protecteur à part entière et non plus le scientifique désorganisé et fantasque qui apparaît à la lecture. Il est ici un honnête médecin, qui fait ce qu'il peut, avec des moyens désespérément humains, face aux déchaînements des pouvoirs et des agissements sans morale du vampire. S'il a recours à des moyens extrêmes, il le fait avec une telle empathie, qu'il demeure, envers et contre tous, sympathique aux yeux du spectateur. Ce qui était un rude pari à relever, au regard de l'aspect quelque peu caricatural, déplaisant et borné du personnage d'origine. Il y a une grandeur d'âme dans le Van Helsing de Frank Finlay que je n'ai jamais retrouvé ailleurs que dans celui de Laurence Olivier (Dracula - 1979) qui avait cette même force de caractère et ce même altruisme.

Frank Finlay, un Van Helsing virulent protecteur de Lucy et de Mina

J'en viens ensuite à Louis Jourdan, le plus anglophone des acteurs français, qui prête ici son élégance et son charme funeste, au personnage du comte. Comme je l'ai mentionné plus haut, je n'aurais pas cru possible que Béla Lugosi, au sommet de mon panthéon, puisse trouver un quelconque équivalent dans ce registre, et pourtant... Louis Jourdan donne à voir un comte Dracula aux manières charmantes et distinguées, d'une affabilité inquiétante. Le timbre de sa voix, sa démarche, son sourire, tout dans cette personnalité distinguée et polie se révèle infiniment sinistre, et à l'instar de Jonathan Harker, ici campé par Bosco Hogan, le malaise que l'on peut ressentir est immédiat. Le cadre y est sans doute pour beaucoup, mais la déférence glaciale de ses manières, son regard perçant, dur, implacable, toujours dissimulé par ce rictus amusé, expression sublimée de sa propre supériorité, se combinent de manière magistrale pour offrir une interprétation mesurée, où la condescendance ne s'exprime que par ce regard terrible qu'il pose sur la futilité et la vanité de l'existence humaine. 

Dracula (Louis Jourdan) : entre cynisme et déférence

Le personnage; comme on l'aura compris, se caractérise surtout par son cynisme accablant, par le détachement hautain et l'amusement visible qui en est le masque. Il n'y a donc pas de place ici pour les assertions du Van Helsing du roman, que j'ai trouvées relativement incohérentes à la lecture :  loin de l'inexpérience vantée par le fantasque professeur, Dracula est au contraire doté d'un esprit très aiguisé, expérimenté et probablement déréglé par le fait même de son existence éternelle.  



Ne nous y trompons pas : le Dracula interprété par Louis Jourdan n'est pourtant pas totalement et seulement le monstre que l'on croit. S'il charme Lucy, pour ensuite s'en prendre à Mina, il existe peu de scènes où l'on voit le comte à l'oeuvre avec sa première victime. Avec la seconde, il en va tout autrement. La carapace austère semble se fissurer pendant un court moment, et une tendresse inattendue apparaît, même si on sait le charme vénéneux à l'oeuvre. Son autorité toute-puissante n'a aucune virulence, elle est exigeante sans être impérieuse. L'unique scène qui l'oppose à Mina, au-delà de tous les artifices romantiques qu'on a pu lui conférer dans d'autres adaptations, est sans nul doute d'une séduction absolue, mais aussi d'un attrait foncièrement noir et toxique. Le personnage est donc loin d'être aussi rigide qu'on aurait pu l'imaginer.

"Do you know the meaning of the Kiss ? You are nourishment to me..."

Malgré quelques défauts propres aux réalisations télévisuelles de l'époque, cette adaptation demeurant peu connue se révèle donc aussi passionnante qu'elle est soignée, sobre, et divinement délétère !

A voir et à revoir !





2 commentaires:

  1. Hello Clélie !

    Je me doutais que cette adaptation serait celle qui comblerait tes attentes ! Au-delà de la fidélité exemplaire au roman, l'atmosphère induite par l'alternance entre extérieurs venteux (l'environnement joue un rôle très important) et intérieurs exigus, nous laisse osciller entre nature menaçante et confinement suffocant, le souci du manque de moyens s'est changé en un atout malgré lui. l'accompagnement musical minimaliste et le côté brute de la prise de son évoquent aussi la version de 31. Louis Jourdan donne une interprétation vraiment unique du personnage, il domine sans jamais élever la voix... il est réellement fascinant.

    Cependant je ne peux m'empêcher de préférer le film de 79 (oui, au fond je suis une midinette), pas tant pour sa variation romantique (une couche de lecture superficielle), qui ne me dérange pas (moins que celle de Coppola) que pour ses finesses d'écriture et son approche du personnage. Je ne vois pas le Dracula de Badham comme un amant contrarié, mais comme un conquérant, et j'aime l'idée que la menace semble moindre du fait que personne ne trouve ce beau mondain réellement menaçant au départ.

    Je ne sais pas si tu as vu la version de Dan Curtis (1973) avec Jack Palance, tu ne seras sans doute pas d'accord avec le scénario de Richard Matheson, ou du moins sur un certain point : il est le premier à avoir introduit l'idée d'un amour perdu. Cependant le portrait du Comte par Palance, entre suavité et bestialité vaut vraiment le détour. Le Nosferatu d'Herzog est aussi très intéressant sur ce point et le film est un véritable chef-d'oeuvre. Tu crieras certainement au scandale quand tu verras la version BBC 2006, avec son insistance sur la frustration sexuelle et son étrange variation sur les motivations qui amènent Dracula à Londres, je n'adhère pas complètement (plus autant que lorsque je l'ai découverte), mais en terme de "production value", le téléfilm est superbe et Marc Warren est extraordinaire dans le rôle titre.

    Pardon pour cette liste ! Ayant visionné près d'une vingtaine d'adaptations de Dracula (je ne compte pas les diverses suites et crossovers), je suis toujours très excité en voyant quelqu'un débuter cette exploration ! J'ai vraiment hâte de lire le compte rendu de tes prochaines découvertes.

    A bientôt ;)

    Gabriel

    P.S. J'ai vu que tu projetais de lire le Dracula The Undead de Dacre Stoker et Ian Holt... ne t'arrache pas les cheveux trop vite.

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  2. Bonjour Gabriel !

    Merci beaucoup pour ton commentaire extrêmement précieux et intéressant ! Je suis tout à fait d'accord lorsque tu évoques le Dracula de Louis Jourdan à la fascinante froideur ! J'ai bien entendu visionner le Dracula de 79 que tu m'avais conseillée. Je l'ai d'ailleurs trouvée très belle, et je lui ai découvert des parallèles intéressants avec l'adaptation de 1931. Mais je n'adhère pas vraiment au Dracula romantique sur le principe, c'est plus fort que moi... :p Cela est très plaisant, vraiment, mais je trouve que l'on s'éloigne inévitablement du personnage original. Je trouve que le romantisme, ou le simple fait que celui-ci puisse "aimer", représente une faiblesse en soi, ce qui ne colle pas avec ma représentation de Dracula : un être qui agit pour sa survie, qui séduit mais qui tue, sans que cela ne l'atteigne jamais. Sa part d'humanité s'est perdue quelque part dans son éternité... Et c'est justement cela qui me fascine !

    Je n'ai pas encore vue la version de Dan Curtis, et je ne sais pas trop à quoi m'attendre... Tout comme le téléfilm de la BBC, dont j'ai entendu beaucoup d'avis très mitigés. Par contre, le film d'Herzog est déjà sur ma liste ! Par les quelques extraits que j'ai déjà vus, je le trouve esthétiquement très intéressant... Et tant que nous parlons de Nosferatu, je m'apprête à regarder la version originelle de Murnau. Je pense qu'elle est avant tout une curiosité ! En tout cas, merci beaucoup pour tes précieux avis, car je sais que tu es un spécialiste du sujet, c'est toujours un plaisir d'en discuter et surtout d'être conseillée ;)

    Quant à Dracula The Undead... Je savais à peu près dans quoi je m'engageais en l'achetant. Disons que j'étais surtout curieuse. Après vingt pages, je suis déjà au bord de la crise de nerfs ;)

    A très bientôt !

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