15 août 2024

L'Ensorcelée, de Jules Barbey d'Aurevilly

 




A l'aube du XIXe siècle, Jeanne de Feuardent, flamboyante jeune femme issue d'une lignée aristocratique désargentée, devient l'épouse d'un riche fermier du Cotentin. Alors que résonne encore le glas de la Révolution, un étrange prêtre fait son apparition à l'église de Blanchelande, enveloppé d'un large froc et d'un capuchon noirs. Lorsque Jeanne découvre le visage atrocement défiguré qu'il dissimule, elle demeure stupéfaite. Bientôt, de folles rumeurs courent dans le pays au sujet de cet abbé, qui parcourt la lande à cheval en terrifiant les paroissiens. Autrefois engagé dans la Chouannerie, l'abbé de la Croix-Jugan a été torturé par des "Bleus" lors de la Révolution, après avoir tenté de se suicider. Revenu sur ses terres, à la veille de la levée de sa suspense, l'abbé n'en a pas pourtant pas fini de se battre pour le rétablissement de la monarchie, quitte à entraîner à sa suite la téméraire Jeanne, qui ne sera bientôt plus que l'ombre d'elle-même...

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J'ai lu ce livre il y a plusieurs années, et le moins que l'on puisse dire est qu'il m'avait beaucoup marquée. La prose splendide de Barbey, les descriptions remarquables de sa Normandie natale, ainsi que le contexte dramatique et épique de l'oeuvre me l'avaient fait immédiatement adoré. Le nom de Jéhoël de la Croix-Jugan, et son improbable passif de Chouans, étaient restés gravés dans ma mémoire, tout comme son caractère tout à fait insaisissable et dramatique. L'Ensorcelée a persisté à faire figure de conte fantastico-gothique depuis lors dans mon esprit, puisqu'il s'inspire d'une légende, voire peut-être d'une histoire partiellement véridique liée à Blanchelande. Il existe en effet une croyance populaire liée à cette abbaye, dont on entend sonner les cloches en pleine nuit, tandis que la silhouette d'un prêtre maudit et de son cheval semblent errer quelques fois dans la lande qui la cerne... 
On peut dire que la légende, tout comme le personnage, ne sont pas banals, et Barbey en a su tirer le meilleur parti.

Pourquoi donc faire un article maintenant, plus de vingt ans après ma première lecture ? Simplement parce que j'ai appris tout récemment que ce roman avait fait l'objet d'une adaptation en 1981, que mon récent abonnement au magnifique site de streaming de l'INA (http://madelen.ina.fr) m'a permis de voir. 
Adaptation qui est, à ma connaissance, la seule jamais réalisée du roman de Barbey d'Aurevilly.

Produit par Antenne 2 et réalisée par Jean Prat, ce téléfilm rassemble au casting Julie Philippe (Jeanne de Feuardent), Jean-Luc Boutté (l'abbé de la Croix-Jugan), Fernand Berset (Maître Le Hardouay), Elisabeth Kaza (la Clotte), Jacques Ebner (Le Curé), ...

Source : https://ca.notrecinema.com/

Le fait est que cette adaptation est pour le moins fidèle à la trame générale du roman, mais qu'elle pêche par un manque relativement visible de moyens, assez caractéristique des téléfilms produits à cette époque. Lors du visionnage, j'ai pensé à de très nombreuses reprises aux adaptations littéraires de la BBC de ces mêmes décennies, qui souffrent de manière générale des mêmes défauts (lumière chiche, pauvreté des décors, des maquillages...), mais qui valent le détour pour l'excellence de leurs interprétations, de leur scénario et de leurs dialogues. L'Ensorcelée ne déroge pas à cette règle. Si la réalisation manque parfois un peu de panache, elle n'en demeure pas moins pleine d'inventivité, et met en scène des acteurs inconnus ou presque, mais pour le moins excellents. 



J'ai retrouvé dans cette adaptation télévisée de l'Ensorcelée les sentiments exacts ressentis à la lecture : en dépit du peu de sympathie que l'on éprouve pour le personnage de Jeanne, intraitable, méprisant et fier, qui se damne au sens littéral du terme pour un prêtre tout droit sorti d'un conte gothique, on reste tout de même comme hypnotisé par cette histoire à demi fantasmée. Le personnage de Jéhoël de la Croix-Jugan, monstre d'égoïsme (et monstre tout court, si j'ose dire), qui n'a pour toutes préoccupations que la cause monarchiste, a quelque chose de diablement fascinant et romanesque. Le charisme de cet extraordinaire abbé absorbe, écrase, annihile celui des autres personnages. Toute l'attention de Barbey et celle de cette adaptation, se concentrent sur les apparitions presque fantomatiques, comme sorties d'un rêve, de ce prêtre qui parcourt la lande à dos d'un cheval lancé au grand galop. 




Cependant, il y a des ratés dans cette adaptation, outre les défauts mentionnés plus haut. Il y a un certain manque de cohérence et de transition dans cette histoire qui ne parvient jamais à aller totalement au bout de son idée. Il y a un sentiment d'inachevé, comme de balbutiements dramatiques parfois, qui suscitent une très désagréable frustration. Au fond, tout est baigné d'un tel onirisme, de telles invraisemblances, qu'on demeure complètement sur sa faim. Et on passera sur le maquillage grossier dont est affublé le pourtant diablement charismatique Jean-Luc Boutté, dont les cicatrices se résument à un très vilain masque rigide, qui a tout d'un déguisement de carnaval en carton-pâte. Cela manque un peu de qualité et de finesse, et ôte un peu du magnétisme originel de la Croix-Jugan. 


Source : https://ca.notrecinema.com/

Cependant, il est clair que malgré de gros défauts, cette adaptation a quelque chose de fascinant, dans le sens gothique du terme, avec ses bons et ses mauvais côtés. Sans doute le roman y est-il un peu pour quelque chose, puisqu'un sentiment d'inachevé plane également sur les dernières lignes de ce récit crépusculaire. Mais n'est-ce pas le propre de toutes les oeuvres gothiques ?

L'un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir vu adapter la scène emblématique du roman au cours de laquelle l'abbé remonte la nef de l'église de Blanchelande au son des éperons de ses bottes, résonnant sur le pavé... Cette scène démontrait à elle seule le caractère sauvage de ce personnage peu commun. 

Restent des interprètes excellents, Julie Philippe en tête, qui a su camper ce personnage de femme résolument moderne, enflammé et fier, mais si prompt à se damner.    


(Attention, il s'agit d'un visionnage payant)         







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