28 avril 2012

Claude Frollo : les identités tragiques d'un personnage méprisé (4/6)

Première partie / Deuxième partie / Troisième partie

1996 : Laurent Hilaire : l'expression du paradoxe en pas de deux

Qu'on se le dise, je suis loin d'être une spécialiste du ballet, ni une très grande férue du genre...
Néanmoins, cette adaptation du roman par Roland Petit pour la scène de l'Opéra de Paris, est d'un indéniable charme : tour à tour colorée, ou lugubre, inventive ou moderne, elle ne peut décidément laisser indifférent.

Evidemment, le ballet peut être un spectacle difficile, plus difficile encore pour une adaptation d'une oeuvre où le verbe occupe une place si prépondérante. Malgré tout, les performances des danseurs (et là, je pense essentiellement à Nicolas Le Riche, qui interprète un Quasimodo bossu et courbé en deux durant tout ce spectacle grandiose), l'expressionnisme de leur jeu et de leurs regards, parviennent à résumer en deux heures des centaines de pages de drame... et de mots. La musique de Maurice Jarre, résolument moderne, se prête, s'adapte, se fond, au drame qui se joue, aux passions qui se déchaînent.

Laurent Hilaire, alors danseur étoile à l'Opéra de Paris (aujourd'hui maître de ballet), prête ses traits sévères et sa grâce féline à un Frollo torturé, égoïste, qui sous ses apparences bien respectables, se meurt d'amour pour la belle Esméralda (Isabelle Guérin), d'un amour bien sûr voué au silence, mais à la fois d'une telle pesanteur et d'une telle violence, que cette interprétation parvient à susciter plus que n'importe quelle autre, une claire et nette impression de terreur.


En effet, il y a dans le jeu de Laurent Hilaire une froideur formidable, avec son visage que l'on croirait taillé dans l'albâtre, et ses gestes d'un esthétisme véhément, mais néanmoins contenu jusqu'à l'apparition de Phoebus, et la scène d'amour entre ce dernier et Esmeralda. La souffrance du prêtre, sa jalousie dévastatrice, déferlent alors sans mesure : on assistera alors à des baisers passionnés et contraints, puis à des coups, dont on ne sait s'il s'agit de visions cauchemardesques inventées par le prêtre, ou la bohémienne.

Frollo & Esmeralda : a kiss at last ! ;-)


Il est indéniable que ce Frollo est infiniment bien interprété, malgré les raccourcis inévitables, et les adaptations nécessaires à la transposition sur scène, et la parti pris d'une violence tour à tour contenue, ou montrée avec une merveilleuse habileté. Jamais Frollo n'a été si égoïste, si méprisable, et finalement si complexe...

1997 : Richard Harris : le grand désordre

Je n'aurais sincèrement pu trouver d'autre titre que celui-là pour exprimer l'immense pagaille semée tout au long de ce téléfilm réalisé par Peter Medak en 1997. L'oeuvre en elle-même (si du moins on ose lui donner ce nom) est une absurdité en soi : la trame d'origine est si bouleversée, que l'on peine à y reconnaître l'esprit de Hugo, ou même ses personnages. Bien entendu sur la forme, on retrouve le gentil Quasimodo, la belle Esmeralda, et le méchant Frollo, le tout noyé dans un flot d'incohérences tant scénaristiques qu'historiques, qui auraient plus tendance à faire rire que pleurer... Oui, il faut l'avouer, cette version est risible sur sa forme, et Frollo, qui est bien entendu l'élément qui nous intéresse dans cet article, même s'il est plutôt effrayant à voir (un Richard Harris au crâne rasé et à la mine patibulaire), ne m'a jamais inspiré qu'une irrépressible envie de rire... Rien qu'à ce stade, on sait d'ores et déjà que le téléfilm est vraiment passé à côté de son sujet... Mais soit. Frollo a deux obsessions très malsaines : l'imprimerie (si, si) et Esmeralda (bien entendu). Est-il un personnage bon ? Le spectateur n'en sait rien... Est-il fou ? Sans doute. Est-il un sadique ? Probablement. Là, on ne peut songer qu'à la mémorable scène de flagellation, qui inspire horreur, dégoût, rires nerveux, bref, des réactions qui toutes ensemble font un très mauvais mélange...

On songerait presque au Nom de la Rose d'Umberto Eco, dans une version comique... Et encore, la comparaison est flatteuse.
Vraiment, que dire sur cette version ? Que Richard Harris a tenté de sauver les meubles, en prenant des poses qu'on dirait sorties d'un film d'horreurs des années cinquante ?

En bref, on rente pantois devant un tel fatras...  Un conseil : mieux vaut passer son chemin...

Dans un prochain article : La version musicale de Cocciante et Plamondon : Cinquième partie

2 commentaires:

  1. Enfin, je dépose quelques mots sur cette nouvelle partie que tu consacres aux visages de Frollo, toujours aussi brillamment ^_^

    Tout d'abord, je ne peux, encore une fois, qu'approuver ce que tu dis sur le Frollo de Disney...certes ô combien déformé, mais ô combien charismatique et réussi, comme un des méchants Disney les plus marquants. Il est probablement la version la plus noire des Frollo cinématographiques, et pourtant non dénué d'intérêt grâce à cette subtilité qu'il possède. Avec Laurent Hilaire, il est l'un des Frollo les plus noirs, ce qui est paradoxal pour une adaptation pour enfants...

    Ce qui nous mène donc à Laurent Hilaire. Je ne peux qu'avoir des étoiles dans les yeux en lisant ce que tu écris sur lui *.* Tu as parfaitement résumé comme le ballet, sans un seul mot, rend tour à tour compte de l'ambiance lugubre, fantasque ou profonde du roman, on ne peut qu'applaudir Roland Petit pour ce travail. (et Nicolas Le Riche est lui aussi simplement magnifique, comme tous les danseurs, en vérité...) Laurent Hilaire a ici quelque chose de si pesant, de si malsain, dans son attitude, son visage crispé, ses mouvements de souffrance et de cruauté. Il dégage une aura de noirceur difficilement égalable dans les autres adaptations, presque impossible à décrire, notamment dans la fameuse scène de la Porte-Rouge, un vrai cauchemar éveillé. Et si certes, il apparaît avec finalement moins de profondeur que son homonyme dans le livre...sa prestation force l'admiration, pour exprimer si bien les dilemmes de Frollo en pas de danse...

    Quant à la version avec Richard Harris, je suis morte de rire devant la façon dont tu l'as décrite...ce qui me choque particulièrement, dans cette version, c'est que prises séparément, plusieurs scènes seraient plutôt bien reçues. Mais quand on voit le résultat global...Victor Hugo doit se retourner dans sa tombe !
    "Mais soit. Frollo a deux obsessions très malsaines : l'imprimerie (si, si) et Esmeralda (bien entendu)." <--- ma phrase favorite dans ton commentaire ^_^ Quoique "Que Richard Harris a tenté de sauver les meubles, en prenant des poses qu'on dirait sorties d'un film d'horreurs des années cinquante ?" est une perle aussi...et encore, si seulement Richard Harris parvenait à être effrayant !

    A très bientôt, frollophilement...et encore bravo pour ces merveilleux articles !

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  2. Ma chère Lorinda,

    Je suis ravie que cet article t'ait plu ! Comment ne pas être admirative du Frollo de Laurent Hilaire, décidément ! Quelle pesanteur, comme tu le soulignes, et quelle noirceur dans le portrait de ce personnage qui suscite une nouvelle fois, à travers cette version, de nouvelles interrogations... ce qui est en soi encore une autre prouesse, justement liée à la danse, mode d'expression assez surprenant mais tellement révélateur, puisque tout se fait dans le geste... !

    Quant à Richard Harris, il m'a bien fait rire ^_^ Le téléfilm est tellement à côté de la plaque que c'en est jubilatoire... !

    Je m'apprête à rédiger l'article sur la version musicale...il y a tellement à dire que les idées se bousculent un peu... *angoisse frollophile*

    A bientôt et au plaisir de te lire !

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